Page:Capus – Qui perd gagne.djvu/31

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sais que tu n’as guère de chance. Un louis par-ci, par-là, c’est bien assez…

Mais Farjolle n’était pas vraiment joueur. Il avait vu de trop près la duperie du jeu, tel qu’il est organisé à Paris dans les tripots, pour y engager de l’argent, « solide et honnêtement acquis », comme il se disait à lui-même, non sans fierté. « Jouer, pensait-il, c’est bon quand on n’a pas le sou. » Et peu à peu, il n’alla plus au cercle que pour voir des camarades utiles, donner des rendez-vous, écrire une lettre ; il traversait dédaigneusement les salles de baccarat, visant plus haut que les vulgaires combinaisons des cartes.

S’aimaient-ils, les deux époux de ce ménage hasardeux ? Ils n’étaient ni l’un ni l’autre de nature à se poser cette question. Emma était trop rangée et trop pratique pour tenir compte d’une chose qui ne se prêtait pas à des calculs faciles, et lui avait cessé d’être sentimental depuis sa première communion. Ils ne s’ennuyaient pas ensemble et s’embrassaient parfois violemment. Mais les étreintes ne leur laissaient pas cette reconnaissance attendrie qui semble le sillage de l’amour. Ils n’y prenaient qu’un plaisir instantané, sitôt disparu, délayé dans les préoccupations quotidiennes.

Cependant la patronne de la blanchisserie des Martyrs, qui n’était dans sa boutique qu’une forte fille, aimable à voir, devenait délicieuse sous la forme bourgeoise. Sa vigueur s’adoucissait dans des vêtements plus gracieux ; et à la chaleur de l’intimité, sa beauté un peu sombre prit du charme et de la tendresse.

Quant au passé d’Emma, à ces petites aventures ordinairement pénibles pour un mari, Farjolle avait beau s’interroger, songer au chef de bureau à qui il devait