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Page:Carco - L'Homme traqué, 1922.djvu/151

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femmes sordides qui se régalaient de vin rouge. On n’y menait pas grand tapage. Sur chaque être pesait comme un égal destin auquel nul n’aurait su se dérober. Nuits des Halles ! Ce buveur accoudé au comptoir y avait l’attitude endormie des bêtes attelées qui attendent dans les rues le coup de fouet qui les réveillera ; cet autre était plus qu’à demi couché en travers de la table et, à deux mains, il se tenait la tête et regardait, sans voir, autour de lui. Un lourd silence, accumulé par la fatigue, emplissait tout le bar. Il y entretenait comme l’atmosphère incohérente d’un cauchemar où la lumière luisait d’une cruelle et maussade fixité. Plus le jour approchait, plus l’atmosphère d’un tel endroit prenait sur Léontine de force et d’attirance. Elle ne pouvait s’en détacher… De ces gens, qui avaient chacun sa peine et son muet tourment, à la femme qu’elle était et si lasse, si véritablement exténuée, rien ne marquait de différence. Seulement, une immense déception se mêlait au désir que Léontine avait de se rendre utile à Lampieur et, quoi qu’elle entreprît, cette déception avait toujours sur elle le dessus