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Page:Carco - L'Homme traqué, 1922.djvu/152

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et lui ôtait jusqu’à l’espoir de ne pas s’employer en vain au but qu’elle poursuivait.

C’était vers le petit matin que Léontine s’apercevait d’un pareil changement en soi-même et qu’elle s’en désolait. Dans les vitres du bar, une lueur incertaine se glissait. Elle cernait d’un halo blême, en face, la découpure des toits. Puis le ciel blanchissait. Il devenait gris, d’un gris sale, uniforme, sans limite, d’un gris qui s’effaçait, qui se décolorait lentement à mesure que le jour se levait et se confondait avec lui. Dans la rue, Léontine voyait d’abord une sorte de remous trouble entourer les lumières des derniers becs de gaz. Et ces lumières, bientôt, n’existaient plus : elles jaunissaient, elles brûlaient sans raison tandis que, tout à coup, le timbre dur d’un tram et son roulement insolite déchiraient le silence, en en secouant les lambeaux.

Alors Lampieur poussait la porte du bar et Léontine se reprenait à vivre comme toutes ces choses, dehors, qui lui semblaient soudain s’animer, se mouvoir, se presser. Des boutiques qu’on ouvrait dépliaient leurs volets ; des persiennes