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écoles. La pratique, sous l’empire d’un bon système, peut être compatible avec la théorie, mais elle ne peut l’être sous l’empire d’un système mal ordonné.

Avec la promulgation de la loi irlandaise sur les pauvres, il se manifesta naturellement un plus grand désir de débarrasser le pays d’une population qui, incapable de vendre son travail, l’était aussi de payer aucune rente ; et depuis cette époque jusqu’à nos jours, l’Irlande a offert à l’observateur les scènes les plus repoussantes, par suite de la destruction des maisons et de l’expulsion de ses habitants, scènes dignes bien plutôt des parties les plus sauvages de l’Afrique, que d’une nation faisant partie intégrante de l’empire britannique[1].

Jusqu’à ce moment l’agriculture irlandaise avait été protégée sur le marché Anglais, et c’était une sorte de petite compensation pour le sacrifice du marché national ; mais aujourd’hui, cette faveur même, tout insignifiante qu’elle fût, lui était enlevée. Comme la population de la Jamaïque, la population de l’Irlande est devenue pauvre et le trafic avec elle a cessé d’avoir de la valeur, bien que les Irlandais, il n’y a guère que 70 ans, fussent les meilleurs chalands de l’Angleterre. Ce système ayant épuisé tous les pays où le commerce avait été sacrifié au trafic, — tels que l’Inde, le Portugal, la Turquie, les Antilles et l’Irlande elle-même, — il devint nécessaire de faire effort pour se créer des marchés parmi ceux qui, jusqu’à un certain point, avaient rapproché le consommateur du producteur, à savoir : les États-Unis, la France, la Belgique, l’Allemagne et la Russie ; et pour atteindre ce but, on leur offrit de mettre en pratique le même système qui avait épuisé l’Irlande. Partout les fermiers furent invités à appauvrir leur sol en expédiant les produits en Angleterre pour y être consommés ; et les lois sur

  1. « Dans l’union de Galway, des rapports récents déclarèrent que le nombre des pauvres inscrits et de leurs maisons rasées, dans les deux dernières années, était égal au chiffre indiqué pour Kilrusb ; 4.000 familles et 20.000 créatures humaines furent jetées sur le grand chemin, sans maison et sans asile. Je puis facilement ajouter foi à ce document ; devant moi certaines parties du pays apparaissaient comme un immense cimetière, les nombreux pignons des habitations sans toiture semblaient de gigantesques pierres tumulaires. C’étaient assurément des souvenirs de ruine et de mort bien plus tristes que ceux d’un tombeau. En les considérant, un doute venait m’assaillir : Suis-je en effet dans un pays civilisé ? Possédons-nous réellement une constitution libre ? Trouverait-on le pendant de pareilles scènes en Sibérie ou dans le pays des Cafres ? » (Journal Irlandais.)