Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/180

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trospectives, et persuadés que la première condition d’une théorie politique c’est d’être applicable, ils ne songeaient pas à moissonner au dix-neuvième siècle un regain du quinzième ; et tout en jugeant l’unité de croyance chose excellente et fort souhaitable en elle-même, ils pensaient que cette unité ne pouvait passer dans les lois qu’à la condition de préexister dans les mœurs. Ils ne croyaient donc pas qu’à la difficulté de réveiller la foi chez les fils de Voltaire il convînt d’ajouter celle de remettre en vigueur des maximes et des pratiques fort naturelles au temps de saint Louis. Ne songeant pas plus à flatter leur siècle qu’à l’irriter, ils trouvaient que dans notre époque, comme dans la plupart des autres, le bien était étroitement enlacé avec le mal, et qu’il était fort imprudent de donner les intérêts pour auxiliaires aux passions. Ils n’étaient ni des logiciens à outrance, ni des mystiques illuminés. D’autant plus résignés aux catastrophes qu’ils s’efforçaient plus sincèrement de les détourner, ils étaient prêts à s’incliner devant des miracles, lorsqu’il conviendrait à la miséricorde de Dieu d’en opérer ; mais ils n’entendaient point faire entrer ceux-ci dans les combinaisons de la politique humaine, et jugeaient les romans encore plus dangereux pour les hommes d’État que pour les jeunes filles. Ils n’avaient qu’une prétention, celle de conseiller des choses possibles, en faisant profiter leurs modestes efforts et à leurs jeunes contemporains qui avaient perdu leurs croyances, et à ceux qui, comme eux, avaient eu le bonheur de les conserver.