Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/20

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les touche directement eux-mêmes. Cette étude conduit presque toujours à s’assurer que, constamment libre dans ses résolutions dont il porte et doit porter l’entière responsabilité, l’homme se trouve dans une dépendance au moins médiate de certains faits primitifs survenus en dehors de ses prévisions et de ses calculs. L’ordonnateur souverain des choses d’ici-bas, celui que l’Écriture nomme le Dieu jaloux, a voulu que, pour les esprits même les plus perspicaces, l’imprévu demeurât le fond de la vie humaine. On va voir que, bien jeune encore, les événements m’ont prédisposé à penser ainsi.

Dans l’hiver de 1818 à 1819, une lettre nous apporta la nouvelle la plus étonnante, la plus surprenante, en joignant à ces qualifications toutes celles de madame de Sévigné. Elle venait d’un grand-oncle maternel qui, depuis trente ans, habitait Paris. Ce vieux parent, avec lequel nous étions à peu près sans relations, proposait à ma mère de me recevoir et de me garder chez lui pour y compléter mes études afin de me préparer à une carrière. C’était mon rêve accompli par la voie la plus imprévue, et je vois encore ma mère prosternée dans notre vieille chapelle, remerciant Dieu d’avoir ôté de son cœur la plus cruelle de ses épines en ouvrant un avenir devant son fils. Toutefois, en acceptant sans hésiter cette proposition, elle éprouvait, sans parler de la douleur de me quitter à l’âge où ses soins m’étaient encore si nécessaires, des angoisses dont cette femme forte se gardait bien de révéler toute l’étendue.

J’avais à peine seize ans ; mon surveillant futur en