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Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/21

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avait soixante-dix-neuf ; il passait pour un parfait égoïste, et rien ne l’avait préparé à la charge de diriger un jeune homme à l’heure où s’éveillent les passions. Il aimait fort ses aises, et regrettait, disait-on, en ne s’en cachant guère, ses beaux jours qui lui avaient valu les plus brillants succès. Doué d’une figure des plus agréables et de ce qu’on nommait au siècle dernier un esprit charmant, le chevalier de Lanzay-Trézurin, entré dans l’armée à dix-sept ans, avait été en liaisons assez étroites avec plusieurs des notabilités littéraires de son époque. Grâce aux bontés de madame Denis, nièce de M. de Voltaire, qu’il avait rencontrée à Besançon, il avait passé, de 1765 à 1771, plusieurs semestres à Ferney, admis au nombre des nébuleuses groupées autour de l’astre devant lequel s’inclinaient les peuples et les rois. Avec les habitudes de son temps, il en avait conservé les idées, ne reconnaissant à celles-ci qu’un seul tort, celui d’avoir concouru au renversement de la monarchie, dont M. de Voltaire aurait été, d’après lui, le plus ardent défenseur. Aussi correct dans ses vers que dans sa conversation, mon oncle avait écrit une tragédie en cinq actes, sorte de charge à fond et à froid contre le fanatisme des Croisades, œuvre sentencieuse imprimée à Genève en 1769, dont M. de Voltaire avait daigné entendre quelques tirades, et dont je fus plus d’une fois condamné à subir la lecture intégrale !

M. de Trézurin abhorrait la révolution et l’empire, la révolution s’étant, disait-il, opérée sans motif, et l’Empire n’ayant pas produit un seul grand homme. Son