Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/23

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et s’accordant pour déclarer que le génie militaire du général Bonaparte, surfait par les ennemis de la monarchie légitime, ne s’élevait guère au-dessus de celui du maréchal d’Estrées. Tel était l’intérieur où j’étais appelé à vivre entre un vieillard, sa gouvernante et son caniche.

En réponse à la bienheureuse lettre, on m’avait expédié en grande vitesse, par la diligence. Parti du fond de la basse Bretagne, j’arrivai à Paris le cinquième jour, rapidité qu’admirait fort un officier de la vieille marine, lequel, à la fin de la guerre d’Amérique, avait mis dix jours, me disait-il, pour faire le trajet de Brest à Versailles par le coche.

À peine arrivé, je compris que ma mère avait été bien avisée en me faisant partir sans retard, et que j’avais dû cette invitation à un accès d’humeur noire dont un beau coup d’échecs avait peut-être triomphé le lendemain. Songeant un moment à rompre la monotonie de son existence, mon oncle avait imaginé que la présence d’un jeune homme pourrait y concourir, et n’avait guère réfléchi aux obligations que cette démarche ne pouvait manquer d’entraîner pour lui. D’un ton où l’indolence tempérait l’affection, il me dit qu’il était charmé de me voir, et me conseilla de tirer bon parti, pour mon instruction, des nombreuses ressources qu’allait m’offrir Paris ; il ajouta que j’y vivrais à mes périls et risques, et que si je succombais aux dangers que cette ville présente à la jeunesse, je ne tarderais pas à le regretter, une bonne conduite n’étant pas moins nécessaire pour faire son chemin dans le