Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/88

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Lors de mon arrivée dans cette capitale, on était un peu en vacances à l’ambassade, car l’ambassadeur avait pris un congé, et la cour ne s’en était pas plus émue que la ville. Le marquis de Moustier, qui avait succédé dans ce poste difficile au marquis de Talaru, y obtint peu de succès, quoiqu’il eût promis des merveilles au parti qui l’y avait fait envoyer.

Mais ces merveilles se faisaient fort attendre, et les convictions de la droite, si vives qu’elles fussent alors, se seraient probablement attiédies en présence du spectacle que j’eus sous les yeux durant mon séjour dans la Péninsule. L’auteur de l’Essai sur l’indifférence, dont les disciples traçaient, dans le Mémorial catholique, des esquisses de fantaisie, continuait à faire de la question espagnole un texte à syllogismes ; il revendiquait dans ses conversations la qualification de coup de canon Lamennais pour la première décharge d’artillerie faite par les troupes françaises sur les constitutionnels aux bords de la Bidassoa. J’avais lu toutes les adjurations éloquentes adressées par le formidable raisonneur, si près de tomber dans l’abîme, aux fils de saint Louis, pour les convier à extirper de cette terre catholique les germes de mort semés par la révolution, et j’avais suivi, dans la fièvre de sa logique royaliste, le futur prophète des idées républicaines, j’aurais donc aimé, après la restauration opérée par nos armes, et à la veille de l’insurrection des Agraviados, à voir les disciples de M. de Lamennais et les partisans de la monarchie paternelle de M. de Bonald mis en présence d’un prince égoïste, au cœur sans