Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pitié, aux mœurs vulgaires, et d’un aspect tellement repoussant, qu’on eût dit un vieux taureau portant une tête d’épervier : sorte de Louis XI sans génie, tenant en constante suspicion tous les hommes de quelque valeur, et livrant les destinées d’un noble peuple ou à l’ignorance d’un Victor Saëz ou à la cauteleuse finesse d’un Calomarde. Que n’aurais-je pas donné surtout pour que l’école chevaleresque groupée autour de l’auteur de la Monarchie selon la Charte pût suivre sur place les actes d’un gouvernement dont nous demeurions responsables, quoique son principal souci fût de répudier nos conseils, d’écarter nos avis et de désavouer notre concours, en continuant de s’en assurer le bénéfice ?

Pendant que l’aristocratie française s’efforçait dans les Chambres de reconstituer son importance territoriale et politique par une série de dispositions législatives imprudentes peut-être, mais assurément honorables, Ferdinand VII, s’inspirant d’une pensée toute contraire, livrait le gouvernement de son pays, afin d’y déraciner toutes les influences, à la plus basse démocratie, organisant cette force aveugle en bataillons de volontaires royalistes. Trois cent mille hommes, appartenant aux dernières classes de la population, signalaient chaque jour au pouvoir des suspects à emprisonner, des administrations à épurer, des villes à rançonner, pour avoir témoigné leur sympathie aux garnisons françaises. Les passions démagogiques marchaient dans la Péninsule sous le drapeau du pouvoir absolu, et malheureusement aussi sous