Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/93

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sans effort les nationalités les plus diverses, comme des vêtements tons à sa taille, il s’était fait Espagnol de mœurs et d’habitudes. Nous parcourûmes ensemble l’Andalousie, y visitant surtout les collections particulières de tableaux amenés plus tard par le malheur des guerres civiles sur tous les marchés de l’Europe. Nous passâmes quelques bonnes journées à Cadix, où le départ annoncé de la garnison française apparaissait comme une sorte de calamité publique, la partie élevée de la société redoutant de s’y trouver à la merci du despotisme servi par la démagogie. Enfin, les yeux éblouis de belles femmes, de belles peintures et de beau soleil, nous nous séparâmes, M. de Lagrené pour visiter Tanger, moi pour me diriger vers Gibraltar afin de m’y embarquer pour Lisbonne sur un paquebot anglais.

En traversant un contre-fort des montagnes de Ronda, je rencontrai, sans la souhaiter, une aventure empreinte d’un peu trop de couleur locale. Je tombai dans un poste de contrebandiers dont plusieurs auraient pu servir de modèles pour les figurines si connues modelées à Malaga. Ces caballeros se montrèrent d’une politesse achevée. Je dus partager leur repas, et le vin de Rota aidant, nous fûmes bientôt sur un certain pied d’intimité. Ils m’initièrent aux secrets de leur attrayante existence, qui tient le milieu entre la vie du soldat et celle du voleur. M’examinant des pieds à la tête avec des exclamations de surprise, ils déclarèrent que j’avais un type espagnol de la plus rare pureté, et l’un des drôles, au milieu des éclats de