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nière à commander à tout le lac. S’il y avait eu des habitations au lac à la Tortue, et si l’on eut refusé de voter le règlement des cent mille piastres, nous serions curieux de savoir où les grands hommes du chemin de fer du Nord auraient placé cette station !

Nous aurons occasion de parler de nouveau du lac à la Tortue, car ce sera le dernier poste que nous visiterons en revenant du Saint-Maurice.

Nous continuons notre voyage ; nous entrons dans une voie fort accidentée ; il y a des tranchées considérables, des courbes et des rampes très prononcées, nous traversons des ravins et des précipices ; une chute d’un grand volume d’eau, mais de peu de hauteur mugit à notre gauche, et nous voilà dans un coquet village, bâti en amphithéâtre : c’est le village des Piles.

Ce nom de Piles a fort intrigué les voyageurs ; les uns ont cru trouver l’origine de ce nom dans le fait que les glaces s’accumulent ou s’empilent au pied de la chute. D’autres ont pensé que ce nom avait été donné par les flotteurs de bois, à cause des grandes accumulations de bûches qui se faisaient souvent à la chute. Ces explications nous paraissent peu satisfaisantes. Quant à en chercher dans l’imagination, nous pourrions en trouver dix autres aussi acceptables que celles-là ; mais nous présenterons quelque chose de mieux à nos lecteurs.

Dans son grand dictionnaire, Littré donne d’abord au mot Pile le sens que nous venons d’y attacher : c’est, dit-il, un amas de choses placées les unes sur les autres. Mais au No 2, voici ce qu’il donne : Pile, s. f. Grosse pierre qui sert à broyer, à écraser. Eh bien ! une vieille sauvage qui porte allègrement ses quatre-vingt-dix ans, Madame Tamakoua, tient de ses ancêtres que les anciens sauvages, quand ils descendaient faire la traite des pelleteries, avaient l’habitude de s’arrêter ici pour piler leur blé-d’Inde. Ils y trouvaient facilement des Piles, ces grosses pierres qui servent à broyer, et de là est venu le nom donné à cet endroit. Ce sont les sauvages, ou plutôt leurs interprètes, qui ont donné ce nom, et les flotteurs n’ont fait qu’employer un mot qui était en usage depuis longtemps.