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occupés, les uns à bûcher, les autres à transporter le bois à quelque lançoir ou sur la glace de quelque petit lac. Il récitait son bréviaire, prenait ensuite son souper et attendait tranquillement ses ouailles. Lorsque les ténèbres couvraient la terre, les bûcherons arrivaient au camp,[1] et le missionnaire serrait la main de tous ces braves travailleurs. Il y en avait de vingt paroisses différentes, et, comme chez les autres hommes, il y avait autant de caractères différents que de têtes. Une chose, cependant, paraissait la même chez tous les membres de la brigade : sous une écorce rude battait un cœur excellent. Pour trouver le chemin de ces cœurs généreux il fallait de l’affabilité. M. l’abbé Proulx avait bien tout ce qu’il fallait pour attirer ces hommes à lui : bel extérieur, bonnes manières, cœur d’or.

Ils prenaient leur repas avec cet appétit de bûcheron qui fait envie aux dyspeptiques, ils mangeaient de la soupe aux pois bien jaune et bien épaisse, et des fèves[2] cuites à l’étuvée avec du lard, mets caractéristique, j’allais dire national, des chantiers canadiens. Ils ingurgitaient en plus un bol de thé concentré jusqu’à en être noir ; l’estomac des bûcherons et leurs nerfs éprouvés sont capables de supporter ce breuvage. Tout cela prenait du temps, bien du temps. Enfin la veillée commençait.

M. l’abbé Proulx étant musicien, emportait dans ses missions un accordéon, un cornet, un violon, et il faisait de la musique aux ouvriers. Ayant une fort belle voix, il leur chantait de jolies chansons qui les ravissaient. Il les faisait chanter eux-mêmes, soit isolément, soit en chœur, quelquefois en les accompagnant sur l’un de ses instruments de musique ; le chantier prenait ainsi un air de fête qui surprenait tous les travailleurs.

  1. On appelle camp (le p se prononce ici), dans le langage des forestiers et des voyageurs canadiens, l’habitation, toujours plus ou moins temporaire, qu’on élève dans le bois. (Note de J. C. Taché dans son ouvrage intitulé : Forestiers et Voyageurs).
  2. Comme on a gardé au Canada, le langage du 17e siècle, on ne dit jamais haricot.