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dans la grande forêt. Cette permission se demandait rarement, car les contremaîtres n’aimaient pas à l’accorder ; on voulut cependant faire une exception pour cette fois. Monsieur Chrétien l’amena donc près de lui, et se mit à converser aussi familièrement qu’il était possible dans la circonstance : notre homme conservait son apparence de tueur, et regardait le prêtre avec un air de défiance extrême. En vain fut-il interrogé sur sa famille, sur sa jeunesse : rien ne parut l’émouvoir. En vain lui parla-t-on avec une tendresse qui venait réellement du cœur, cet homme endurci ne croyait plus à l’affection. Attristé de cette obstination et à bout de ressources, M. l’abbé Chrétien lui dit enfin : J’ai une faveur à vous demander ; je ne voudrais pas vous offenser ni vous faire de la peine, mais me permettriez-vous de vous offrir cette petite médaille de la Sainte Vierge, avec prière de la porter continuellement sur vous. Cette demande, loin de l’offenser, parut lui faire un certain plaisir : il prit la médaille et se la mit au cou. Le missionnaire quitta alors le chantier en recommandant cette pauvre âme à la bonté de la Sainte Vierge.

À quelque temps de là, M. l’abbé Chrétien étant de retour à Ste-Flore se trouvait près du jardin qui donne sur la voie publique, lorsqu’il aperçut un étranger qui se dirigeait vers lui. Il fut bien étonné de voir l’ouvrier à la figure de tueur ! Me reconnaissez-vous, lui demanda cet homme ? Sans doute, reprit M. Chrétien. Voulez-vous entrer ? Oui, dit-il avec satisfaction ; je désire vous voir quelques instants. Ils se rendirent au presbytère, et M. l’abbé Chrétien entama la conversation : Comment ç’a-t-il été après mon départ ? — Ah ! monsieur, je ne faisais que penser à ce que vous m’aviez dit. J’y pensais le jour et la nuit ; j’étais continuellement harcelé par ces pensées là. Enfin, quand je suis descendu aux Trois-Rivières, je me suis présenté à confesse, je n’y pouvais plus tenir. Et alors, sans que M. l’abbé Chrétien l’interrogeât, il se mit à raconter toute sa vie, une vie de crimes à faire dresser les cheveux sur la tête. Il était changé maintenant, il menait une vie régulière et chrétienne ; la