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La descente même du rapide n’offre peut-être pas de grands dangers, mais c’est dans le remous que les accidents sont à craindre. Cela s’explique facilement. L’eau prend, en effet, une vitesse extraordinaire dans le rapide, et arrivée au bas, elle exécute sans violon certaines gigues simples qui n’ont rien de rassurant. De plus, elle forme des rondes auprès desquelles les valses furibondes et les polkas saugrenues du grand monde actuel ne sont que des jeux d’enfants. Si donc le canot est petit, les vagues qui dansent vont gentiment sauter dedans et le remplissent, puis à l’instant les rondes furieuses le font chavirer sans miséricorde ; au milieu du brouhaha des vagues, les malheureux naufragés trouvent rarement alors assez de force ou de présence d’esprit pour gagner le rivage.

Il y a quelques années, quatre jeunes gens après avoir sauté le rapide ont chaviré ainsi dans le remous ; trois d’entre eux ont pu se sauver à la nage, mais le quatrième a été englouti sous les flots.

Le deux août de la présente année, 1888, six hommes ont sauté ce dangereux rapide dans une grande barge, ils se croyaient ainsi à l’abri de tout danger, mais la malice du remous est bien profonde et bien noire. Ils voulurent arrêter à un endroit bien connu des canotiers, mais leur barge étant plus longue que les barges ordinaires, lorsque la pince toucha le rivage, il se trouva que l’arrière était encore à la portée des rondes du remous, l’embarcation fut subitement culbutée, et les six hommes furent précipités dans les flots. Cinq gagnèrent le rivage, mais le sixième, M. Charles Bernier de Ste-Flore, qui était au gouvernail, fut emporté dans le remous et y trouva la mort. Son corps fut retrouvé le lendemain de l’accident.

Aux Petites-Piles, le Saint-Maurice peut avoir de 160 à 180 pieds de largeur ; mais quand il a passé cet endroit, il fait comme un homme qui s’est tenu recoquillé pendant un certain temps : il étend ses membres, et forme la baie des Petites Piles qui a bien 18 arpents de large.

Au-delà de cette baie, une batture paraît nous barrer complètement le passage ; plusieurs bûches s’y