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reposaient sur le sable, attendant que les flotteurs vinssent avec leurs mordants renards et leurs longues gaffes, les rouler de nouveau dans le courant.

Voyez-vous cette lisière qui s’étend au loin, sur les deux côtés du Saint-Maurice ? Les arbres y sont plus courts et plus petits qu’ailleurs, le vert des feuilles y est plus tendre. C’est qu’ici la vieille forêt a été abattue, arrachée et jetée en javelle par un cyclone dont on a gardé le souvenir. On se souvient très bien aussi que dans ce temps il y avait beaucoup de danses à Chawinigane et à Ste-Flore ; les curés prêchaient et ne parvenaient pas à se faire écouter ; mais quand la tempête eut fauché cet andain effrayant à travers les champs et les forêts, les danses cessèrent tout-à-coup ; on vit en cela un châtiment terrible et une menace plus terrible encore.

Mais voici que nous apercevons des constructions, bien au loin, il est vrai : ce sont les hangars de la Compagnie de la Grand’Mère. Nous allions dans un pays sauvage, il semble que nous fussions au fond des grandes forêts du Nord ; la simple vue de ces bâtiments change le paysage, et nous nous sentons en pays civilisé.

Nous ferons part ici à nos lecteurs d’une remarque que nous avons faite plusieurs fois pendant notre petit voyage : Depuis les Piles jusqu’à La Tuque, tout se fait en vue du Saint-Maurice, c’est la grande artère vitale de ces endroits ; mais en bas des Piles, c’est comme un parti pris de dédaigner le Saint-Maurice. Il y a des paroisses chaque côté, et cependant notre fleuve coule solitaire et abandonné. Les églises ne se mirent pas dans ses eaux profondes, elles se sont toutes placées à distance.

L’église Ste-Flore est établie au fond d’une grasse vallée, entre deux montagnes : c’est un nid au milieu des prés verts.

L’église de Saint-Boniface ne s’est pas occupée de cette belle chute de Chawinigane, connue de si loin et qui devra attirer tant de voyageurs ; elle s’est placée dans les champs, au pied d’un petit rocher : c’est un