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vages n’ont pas d’orthographe à eux, et qu’il faut recourir à une orthographe étrangère pour écrire les mots de leur langue. Mais à quelle langue aura-t-on recours, pour écrire le nom sauvage d’une chute et d’une rivière qui se trouvent dans la province française de Québec, dans le district français des Trois-Rivières, dans la paroisse toute française de Saint-Boniface ? Oserez-vous répondre qu’il faut avoir recours à la langue anglaise ? Vous ne l’oserez pas, cela révolte trop le bon sens. Vous direz qu’en pays français on emploie l’orthographe française. C’est ce que je fais en écrivant Chawinigane. Vous, vous employez l’orthographe anglaise, et je dis que vous avez tort. C’est pourquoi je ne veux pas et je ne puis pas vous imiter.

Vous répondrez : Nous n’y pouvons rien, c’est le nom officiel. — Vous voulez dire par là que c’est le nom adopté par le département des Postes, n’est-ce pas ? Je réponds à votre objection.

Regardez sur les lettres qui partent du bureau de la poste des Trois-Rivières, vous trouverez invariablement Three-Rivers sur l’estampille ; c’est le nom officiel. Pensez-vous qu’à cause de cela, notre ville ait perdu le nom français qu’elle a reçu de ses fondateurs ?

Quand vous recevrez une lettre de Batiscan, regardez bien sur l’enveloppe, vous remarquerez l’estampille suivante : Batiscan-Bridge. C’est un comble d’une hauteur prodigieuse, celui-là ; il doit nous faire comprendre que l’autorité du ministère des Postes, dans la matière qui nous occupe, est fort douteuse et fort compromise.

Enfin vous insisterez : Quant à écrire en français, écrivez donc Chaouinigane ; mais vous mêlez à l’orthographe française le dobliou des Anglais, c’est une inconséquence. — En disant double-vé, vous craindriez d’affaiblir votre argumentation, je suppose. Quoiqu’il en soit, voici ma réponse : Je n’ai aucune objection à écrire Chaouinigane, mais je crois que nous pouvons employer le double-vé dans les noms de langue étrangère. Cette lettre est définitivement admise dans l’orthographe française : tantôt elle y a la valeur du vé simple, tantôt elle sonne comme la diphtongue ou ;