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mes vacances au congo

les admirer, les descriptions des « Poèmes barbares » chantaient en ma mémoire :

L’oreille en éventail, la trompe entre les dents,
Ils cheminent, l’œil clos. Leur ventre bat et fume,
Et leur sueur dans l’air embrasé monte en brume ;
Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

Nous avons même vu de très près un superbe lion. Mais je m’empresse d’ajouter que ce roi des carnassiers était captif derrière de solides barreaux de bois, dans une factorerie de Kabala. Quant aux crocos et aux hippos, ils peuplent le fleuve et ses affluents, et la saison des eaux basses nous vaut le plaisir de voir souvent émerger aux pointes d’îles et sur les bancs de sable leurs redoutables carapaces. Dans la végétation des rives, qui est abondante et enchevêtrée, et où les palmiers et les arbres à saucisses surgissent de la masse des roseaux et des hautes graminées, la vie tropicale s’épanouit jusqu’à l’exaspération. D’âcres odeurs de fermentation se mêlent à de suaves parfums dans les bouffées d’air chaud qui annoncent un prochain orage. De grands vols de kapsalas, dont la silhouette a quelque chose de héraldique, coupent brusquement le ciel. Des grues couronnées, des aigles presque blancs, des oiseaux au plumage multicolore et irisé, d’autres aux formes invraisemblables, tel l’oiseau à tête d’âne, achèvent d’animer ces vastes solitudes, mais sans en rompre le silence.

Car la journée d’Afrique est majestueusement silencieuse. Ce sont les nuits qui sont bruyantes, surtout à l’époque de la pleine lune, — et nous y touchons précisément. Dès que l’implacable soleil s’enfonce à l’horizon, il semble que sa disparition marque automatiquement l’éveil de toutes les rumeurs, de toutes les harmonies, de tous les cris de la