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8 VIII
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d’emulation, force, courage, et un pouvoir dont nulle tyrannie peut nous priver : c’est celui de nous tuer, si après un calcul juste, ou faux nous avons le malheur d’y trouver notre compte. C’est la plus forte preuve de notre liberté morale que le sophisme a tant combattu. Elle est cependant justement en horreur à la nature ; et toutes les religions doivent la proscrire.

Un pretendu esprit fort me dit un jour, que je ne pouvois pas me dire philosophe, et admettre la révelation.

Si nous n’en doutons pas en physique, pourquoi ne l’admettrions nous pas en matiere de religion ? Il ne s’agit que de la forme. L’esprit parle à l’esprit, et non pas aux oreilles. Les principes de tout ce que nous savons ne peuvent qu’avoir été revelés à ceux qui nous les communiquerent par le grand et supreme principe qui les contient tous. L’abeille qui fait sa ruche, l’hirondelle qui construit son nid, la fourmi qui fait sa cave, et l’araignée qui ourdit sa toile n’auroient jamais rien fait sans une revelation préalable eternelle. Ou nous devons croire que la chose est ainsi, ou convenir que la matiere pense. Pourquoi non, diroit Loke, si Dieu l’eut voulu ? Mais nous n’osons pas faire tant d’honneur à la matiere. Tenons nous donc à la révelation.

Le grand philosophe, qui après avoir étudié la nature, crut pouvoir chanter victoire la reconnoissant pour Dieu mourut trop tôt. S’il eût vecu quelque tems d’avantage, il seroit allé beaucoup plus loin, et son voyage n’eût pas été long. Se trouvant dans son auteur, il n’auroit plus pu le nier : in eo movemur, et sumus. Il l’auroit trouvé inconcevable ; et il ne s’en seroit pas inquieté. Dieu, grand principe de tous les principes, et qui n’eut jamais de principe, pourroit il lui même se concevoir, si pour se concevoir il eut besoin de connoitre son propre principe ? O heureuse ignorance ! Spinosa, le vertueux Spinosa mourut avant de parvenir à la posseder. Il seroit mort savant, et en droit de pretendre à la récompense de ses vertus supposant son âme immortelle.

Ce n’est pas vrai qu’une prétention de récompense disconvienne à la veritable vertu, et qu’elle porte atteinte à sa pureté, car, tout au contraire,