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froqué au lieu de leur faire l’aumone, et s’en aller leur [de]mande[illisible] à souper par S.t François. Il faut, dit le vieux moribond à ses femmes, cuire la poule, et tirer dehors la bouteille que je conserve depuis vingt ans. La toux alors le prit si fort que j’ai cru le voir mourir. Le moine lui promet que S.t François le fera rajeunir. Je voulois aller à Colle fiorito tout seul et l’attendre ; mais les femmes s’y opposerent, et le chien me prit par l’habit avec des dents qui me firent peur. J’ai dû rester là. Au bout de quatre heures la poule étoit encore dure ; j’ai debouché la bouteille, et j’ai trouvé du vinaigre. Perdant patience j’ai tiré de quoi bien manger hors du baticulo du moine, et j’ai vu ces femmes toutes contentes de voir tant de bonnes choses.

Après que nous eumes tous assez bien mangé on nous fit deux grands lits d’assez bonne paille, et nous nous couchames restant à l’obscur parcequ’il n’y avoit ni chandelle ni huile. Cinq minutes après, dans le moment même que le moine me dit qu’une femme s’étoit couchée près de lui, j’en sens une autre près de moi. L’effrontée m’entreprend, et va son train malgré que je la repousse, et que je lui ordonne serieusement de me laisser dormir. que ne voulusse absolument consentir à sa rage. Le tapage que le moine fesoit voulant se defendre de la sienne rendoit la scene si comique que je ne pouvois pas me mettre tout à fait en colere. Le fou appeloit à grands cris S. François à son secours ne pouvant pas esperer en moi compter sur le mien. J’etois plus encore embarrassé que lui ; puisque lorsque j’ai voulu me lever le chien m’effraya venant à mon cou. Ce même chien allant de moi au moine, et du moine retournant à moi paroissoit d’accord avec les putains pour nous empecher de nous defendre d’elles. Nous nous disions assassinés fesant les hauts cris ; mais en vain car la maison étoit isolée. Les enfans dormoient, le vieillard toussoit. Ne pouvant me sauver de là, et la l...... m’assurant qu’elle s’en iroit, si je voulois être un peu complaisant, j’ai pris le parti de la laisser faire. J’ai trouvé que celui qui dit sublata lucerna nullum discrimen inter mulieres dit vrai ; mais sans amour cette grande affaire là n’est rien.est une vilenie.

F. Steffano fit autrement. Defendu par sa grosse robe, il echappa au chien, il se leva, et il trouva son baton. Pour lors il parcourut l’endroit donnant des coups à droite, et à gauche en aveugle. J’ai entendu la voix d’une femme dire s’écrier : Ah ! Mon Dieu ! Et le moine dire je l’ai assommée. J’ai cru qu’il avoit assommé le chien aussi, car je ne l’ai plus entendu, et j’ai cru assommé le vieillard aussi ne l’entendant plus tousser. Il vint se coucher pres de moi, tenant son gros baton, et nous dormimes jusqu’au jour.