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à un ou deux milles de Terni le monstre me vfit voir un petit sac de trufles qu’il lui avoit volé. C’étoit un vol de deux cequins tout au moins. Fort faché, j’ai pris le sac, lui disant que je voulois absolument le renvoyer à la belle, et honnête femme, et pour lors nous vinmes à des voyes de fait. Nous nous battimes, et m’etant emparé de son baton je l’ai jeté dans un fosset, et je l’ai laissé là. À peine arrivé à Terni j’ai renvoyé à l’hotesse son sac avec une lettre dans la quelle je lui demandois excuse.

Je suis allé à Otricoli à pied pour voir à mon aise l’ancien beau pont, et de là un voiturier me me mena pour quatre pauls à Chateau-neuf ; d’ je suis parti à minuit à pied pour arriver à Rome trois heures avant midi le premier de Septembre. Mais voici une circonstance qui peut-etre plaira à quelque lecteur :

Une heure après être sorti de Chateau neuf allant vers Rome, l’air étant tranquille, et le ciel serein, j’ai observé à dix pas de moi à ma main droite une flamme pyramidale de la hauteur d’une coudée, qui quatre, ou cinq pieds elevée du terrain m’accompagnoit. Elle s’arretoit quand je m’arretois, et lorsqu’au bord du chemin il y avoit des arbres je ne la voyois plus, mais je la revoyois quand je les avois depassés. Je m’y suis approché plusieurs fois ; mais tant je m’y approchois tant elle s’eloignoit. J’ai essayé à retourner sur mes pas, et pour lors je ne la voyois plus, mais d’abord que j’avois repris mon chemin je la revoyois à la meme place. Elle ne m’est disparue qu’à la lumiere du jour.

Quelle merveille pour la superstitieuse ignorance, si ayant eu des temoins de ce fait, il me fut arrivé de faire à Rome une grande fortune ! L’histoire est remplie de bagatelles de cette espece ; et le monde est plein de tetes, qui en font encore grand cas malgré les pretendues lumieres que les sciences procurerent à l’esprit humain. Je dois cependant dire la verité, qu’en depit de mes connoissances en physique la vue de ce petit meteore n’a pas laissé de me donner des idées singulieres. J’eus la prudence de n’en rien dire à personne. Je suis arrivé à Rome avec sept pauls dans ma poche.

Rien ne m’arrête ; ni la belle entrée à la place de la porte du pPeuplier, que l’ignorance appelle del popolo, ni le portail des eglises, ni tout ce qui a d’imposant à son premier aspect cette superbe ville. Je vais à Monte Magnanapoli où selon l’adresse je devois trouver mon évêque. On me dit qu’il y avoit dix jours qu’il etoit parti, laissant ordre qu’on m’envoyat defrayé de tout à Naples à une adresse qu’on me donne. Une voiture partoit le lendemain. Je ne me soucie pas de voir Rome, je me