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mets au lit ; et j’y reste jusqu’au moment de mon depart. Je suis arrivé à Naples le six de septembre. J’ai mangé, bu, et couché avec trois manans mes compagnons sans jamais leur dire le mot.

À peine descendu de voiture, je me fais conduire à l’endroit marqué sur l’adresse, mais l’eveque ne se trouve pas. Je vais aux Minimes, et on me dit qu’il etoit parti pour Martorano, et toutes les diligences que je fais sont inutiles. Il n’a laissé aucun ordre qui puisse me regarder. Me voila donc dans le grand Naples avec huit carlins dans la poche ne sachant donner de la tete. Malgré cela ma destinée m’appelle à Martorano, et je veux y aller. La distance n’est que de deux cent milles. Je trouve des voituriers qui partoient pour Cosenza, mais quand q ils savent que je n’avois pas une mâle ils ne me veulent pas à moins que je ne paye d’avance. Je trouve qu’ils avoient raison ; mais je devois aller à Martorano. Je me determine d’y aller à pieds allant avec effronterie demander à manger par tout comme F. Steffano m’avoit appris. Je vais depenser deux carlins pour manger ; il m’en reste encore six. Informé que je devois prendre la route de Salerne, je vais à Portici dans une heure, et demie. Les jambes me portent à une auberge où je prens une chambre, et j’ordonne à souper. Tres bien servi, je mange, et je me couche, et je dors tres bien. Le lendemain je me leve, et je sors pour aller voir le palais royal. Je dis à l’hote que je dinerai.

Entrant dans le palais royal, je me vois approché par un homme à physionomie revenante habillé à l’orientale, qui me dit que si je veux voir le palais, il me feroit tout voir, et qu’ainsi j’epargnerai mon argent. J’accepte, le remerciant beaucoup, et il se met à mon coté. Lui ayant dit que j’etois venitien, il me dit qu’en qualité de Xantiote il etoit mon sujet. Je prens le compliment pour ce qu’il vaut lui fesant une petite reverence. J’ai, me dit il des excellens muscats du levant que je pourrois vous vendre à bon marché — Je pourrois en acheter ; mais je m’y connois — Tant mieux. Quel est celui que vous preferez ? — Cerigo — Vous avez raison. J’en ai de l’excellent, et nous en gouterons à diner, si vous voulez que nous dinions ensemble — Bien avec plaisir — J’ai du Samos, et du Cephalenie. J’ai une quantité de mineraux, vitriol, cinabre, antimoine, et cent quintaux de Mercure — Le tout ici ? — Non. À Naples. Je n’ai ici que du muscat, et du Mercure — J’acheterai aussi du Mercure.

C’est par nature, et sans qu’il pense à tromper qu’un jeune homme novice dans la misere, honteux d’y être, parlant à un riche qui ne le connoit pas, parle d’acheter. Je me souviens alors d’une amalgamation du Mercure faite avec du plomb, et du bismuth. Le Mercure croissoit d’un quart. Je ne dis rien ; mais je pense, que si ce grec ne connoissoit pas ce magistere, je pourrois en tirer de l’argent. Je sentois que j’avois besoin d’adresse. Je voyois que lui proposant la vente de mon secret de bout en blanc, il la mepriseroit : je devois auparavant le surprendre par le miracle de l’augmentation, en rire, et le