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duchesse del Bovino à S.te Claire. Trouvant son excuse tres legitime, je me suis offert à l’aider. Il me lut alors sa chanson, et l’ayant trouvée remplie d’enthousiasme, et versifiée à la Guidi, je l’ai conseillé de l’appeler ode. Après l’avoir louée où elle le meritoit, j’ai osé la corriger où je croyois qu’elle devoit l’être en substituant même des vers à ceux que je trouvois foibles. Il me remercia me demandant si j’etois Apollon, et il se mit à la copier pour l’envoyer au collecteur. Pendant qu’il la copioit j’ai ecrit un sonnet sur le même sujet. Palo enchanté m’obligea à y mettre mon nom, et à l’envoyer au collecteur avec son ode.

Pendant que je le recopiois pour le purger de quelques fautes d’Ortographe il est allé chez son pere pour lui demander qui j’etois, ce qui le fit rire jusqu’au moment que nous sommes allés à table. On me dressa un lit dans la chambre meme de ce garçon ; ce qui me fit beaucoup de plaisir.

La famille de D. Gennaro ne consistoit que dans ce fils, une fille qui n’étoit pas jolie, sa femme, et deux vieilles sœurs tres devotes. À souper il eut des gens de lettres. J’ai connu chez lui le marquis Galiani qui commentoit Vitruve frere de l’abbé que j’ai connu à Paris vingt ans après, secretaire d’ambassade du comte de Cantillana. Le lendemain à souper j’ai connu le celebre Genovesi qui avoit deja reçu la lettre que l’archeveque de Cosenza lui avoit écrit. Il me parla beaucoup d’Apostolo Zeno, et de l’abbé Conti. Pendant le souper il dit que le moindre peché mortel qu’un pretre pouvoit commettre etoit celui de dire deux messes dans un meme jour pour gagner deux carlins de plus, tandis qu’un seculier qui commettroit le meme peché meriteroit le plus feu.

Le lendemain la religieuse prit l’habit, et dans la raccolta les compositions qui brillerent furent les deux de Palo, et de moi. Un napolitain qui s’appeloit Casanova d’abord qu’il sut que j’etois étranger devint curieux de me connoitre. Ayant su que je logeois chez D. Gennaro, il vint le complimenter à l’occasion de la fete de son nom qu’on celebroit le lendemain de la prise d’habit de la religieuse de S.te Claire.

D. Antonio Casanova, après m’avoir dit son nom, me demanda si ma famille etoit originairement venitienne — Je suis, monsieur, lui repondis-je d’un air modeste, un arriere petit fils du petit fils du malheureux Marc-Antoine Casanova, qui fut secretaire du cardinal Pompée Colonna, et qui mourut de la peste à Rome l’an 1528 sous le pontificat de Clement VII. À cette annonce il vint m’embrasser m’appelant son cousin. Ce fut dans ce moment que toute l’assemblée crut que D. Gennaro alloit mourir de rire ; car il ne sembloit pas possible de rire ainsi, et de rester