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de tout ce qui vous regarde, et de tout ce qui vous arrive — D. Lelio m’a aussi donné une lettre pour le cardinal Acquaviva — Je vous en fais compliment, car c’est l’homme qui à Rome peut plus que le pape — Irai-je la lui porter d’abord — Non. Je le previendrai ce soir : venez ici demain matin. Je vous dirai où, et à quelle heure vous irez la lui remettre. Avez vous de l’argent ? — Assez pour pouvoir me suffire au moins un an — Voila qui est excellent. Avez vous des connoissances ? — Aucune. — N’en faites pas sans me consulter, et sur tout n’allez pas aux caffès ; et aux tables d’Hote, si vous pensez d’y aller, ecoutez, et ne parlez pas. Fuyez les interrogateurs, et si la politesse vous oblige à répondre, eludez la demande, si elle peut tirer à consequence. Parlez vous françois ? — Pas le mot — Tant pis : vous devez l’apprendre. Avez vous fait vos etudes ? — Mal. Mais je suis infarinato au point que je me soutiens en cercle — C’est bon ; mais soyez circonspect, car Rome est la ville des infarinati, qui se demasquent entr’eux, et se font toujours la guerre. J’espere que vous porterez la lettre au cardinal, vetu en modeste abbé, et non pas dans ce galant habit, qui n’est pas fait pour conjurer la fortune. Adieu donc jusqu’à demain.

Tres content de ce moine, je suis allé au Campo di fiore pour porter la lettre de mon cousin D. Antonio à D. Gaspar Vivaldi. Ce brave homme m’a reçu dans sa biblioteque, où il étoit avec deux abbés respectables. Après m’avoir fait le plus gracieux accueil, mon D. Gaspar me demanda mon adresse, me priant à diner pour le lendemain. Il me fit le plus grand eloge du pere Georgi, et m’accompagnant jusqu’à l’escalier, il me dit qu’il me remettroit le lendemain la somme que D. Antonio lui ordonnoit de me compter.

Voila encore de l’argent que mon genereux cousin me donnoit, et que je ne pouvois pas refuser. Il n’est pas difficile de donner ; mais de savoir donner. En retournant chez moi j’ai rencontré le pere Steffano, qui toujours le même me fit cent caresses. Je devois avoir une sorte de respect pour cet original meprisable, dont la providence s’étoit servie pour me garantir du precipice. F. Steffano, après m’avoir dit qu’il avoit obtenu du pape tout ce qu’il desiroit, m’avertit que je devois eviter la rencontre du sbire qui m’avoit donné les deux cequins, car se trouvant trompé il vouloit se venger. Le coquin avoit raison. J’ai dit à F. Steffano de faire que le sbire depose mon billet chez un marchand, où quand je saurai qui c’etoit, j’irai le retirer. La chose fut faite ainsi, j’ai payé les deux cequins, et cette vilaine affaire fut finie.

J’ai soupé à table d’hote avec des romains, et des étrangers suivant fidelement le conseil du pere Georgi. On a dit beaucoup du mal du pape, et du Cardinal ministre qui étoit la cause que l’etat ecclesiastique étoit inondé de quatre vingt mille hommes entre allemands, et espagnols. Ce qui me surprit fut