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Je suis d’abord allé chez mon Mentor le pere Georgi pour lui rendre compte de tout. Il me dit que je pouvois regarder mon chemin comme commencé, et qu’étant superieurement bien installé, ma fortune ne pouvoit plus dépendre que de ma conduite. Songez, me dit cet homme sage, que pour la rendre irreprochable vous devez vous gener ; et que tout ce qui pourra vous arriver de sinistre ne sera regardé par personne ni comme malheur, ni comme fatalité : ces noms sont vides de sens : tout sera par votre fauteJe suis faché, mon tres reverend pere, que ma jeunesse, et mon manque d’experience m’obligera à vous importuner souvent. Je vous deviendrai à charge ; mais vous me trouverez docile, et obéissant — Vous me trouverez souvent trop severe ; mais je prevois que vous ne me direz pas tout — Tout tout absolument — Permettez moi de rire. Vous ne me dites pas où vous avez loger passé hyer quatre heures — Ce n’est d’aucune consequence. J’ai fait cette connoissance en voyage. Je crois que c’est une maison honete que je pourrai frequenter, à moins que vous ne me dites le contraire — Dieu m’en garde. C’est une tres honete maison frequentée par des personnes de probité. On s’y felicite d’avoir fait votre connoissance. Vous avez plu à toute la compagnie, et on espere de vous attacher. J’ai tout su ce matin. Mais vous ne devez pas frequenter cette maison — Je dois la quitter de bout en blanc ? — Non. Ce seroit mal honnête de votre part. Allez y une ou deux fois par semaine. Point d’assiduité. Vous soupirez mon enfant — Non en verité. Je vous obéirai. — Je desire que ce ne soit pas à titre d’obéissance ; et que votre cœur n’en souffre pas ; mais en tout cas il faut le vaincre. Souvenez vous que la raison n’a point de plus grand ennemi que le cœur — On peut cependant les mettre d’accord — On s’en flatte. Defiez vous de l’animum de votre cher Horace. Vous savez qu’il n’a pas de milieu nisi paret imperat — Je le sais. Compesce catenis me dit il, et il a raison ; mais dans la maison de D. Cicilia mon cœur n’est pas en danger — Tant mieux pour vous. Vous ne ressentirez donc pas de peine à ne pas la frequenter. Souvenez vous que mon obligation est celle de vous croire — Et la mienne celle de suivre vos conseils. Je n’irai chez D. Cicilia que quelque fois.

Dans le desespoir de mon ame je lui ai pris la main pour la lui