Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203 207
[137v]

Il y avoit chez S. E. une assemblée tous les soirs, où la premiere noblesse de Rome en hommes, et en femmes se trouvoit : je n’y allois pas : Gama me dit que je devois y aller sans pretention comme lui. J’y fus. Personne ne me parla ; mais ma personne étant inconnue tout le monde demanda qui j’étois. Gama m’ayant demandé quelle étoit la dame qui me sembloit plus aimable, je la lui ai montrée ; mais je m’en suis d’abord repenti, quand j’ai vu le courtisan qui est allé le lui dire. Je l’ai vue me lorgner, puis sourire. Cette dame étoit la marquise G., dont le serviteur étoit le cardinal S. C.

Le matin d’un jour dans le quel j’avois decidé d’aller passer la soirée chez D. Lucrezia, j’ai vu son mari dans ma chambre, qui après m’avoir dit que je me trompois, si je croyois de lui démontrer que je n’étois pas amoureux de sa femme, n’allant pas la voir plus souvent, m’invita à aller le premier Jeudi gouter à Testaccio avec toute la famille. Il me dit que je verrois à Testaccio la seule pyramide qui étoit à Rome. Il me dit que sa femme savoit mon ode par cœur, et qu’elle avoit donné une grande envie de me connoitre au futur de D. Angelica sa belle sœur, qui étoit poete, et qui seroit aussi de la partie de Testaccio. Je lui ai promis de me rendre chez lui dans une voiture à deux places à l’heure indiquée.

Les jeudis du mois d’octobre étoient dans ce tems là à Rome des jours de gayeté. Nous ne parlames le soir dans la maison de D. Cicilia que de cette partie, et j’ai cru voir que D. Lucrezia y comptoit dessus autant que moi. Nous ne savions pas comment ; mais devoués à l’amour nous nous recommandions à sa protection. Nous nous aimions, et nous languissions ne pouvant pas nous en entredonner des convictions.

Je n’ai pas voulu laisser que mon bon pere Georgi apprenne d’autres que de moi l’histoire de cette partie de plaisir. J’ai voulu positivement aller lui en demander la permission. Affectant l’indifference, il n’a pas eu des raisons pour croire autrement. contre. Il me dit que je devois absolument y être, car c’étoit une belle partie faite en famille ; et rien d’ailleurs ne pou devoit m’empecher de connoitre Rome, et de me divertir honnêtement.

Je fus chez D. Cicilia à l’heure marquée dans un carosse coupé que j’ai loué chez un Avignonois nommé Roland. La connoissance de cet homme eut des suites importantes qui me feront parler de lui dans dixhuit ans d’ici. Cette charmante veuve me presenta D. Francesco son futur beau fils, comme grand ami des gens de lettres ; et orné lui même d’une rare litterature. Prenant cette annonce comme argent comptant, je l’ai traité en consequence ; mais en attendant je lui ai trouvé l’air engourdi, et tout autre maintien que celui d’un galant qui alloit epouser une fort jolie fille, car telle étoit Angelique. Il étoit cependant honnête, et riche