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On le voyoit entre les deux lettres grecques Alpha, et Omega. Cette bague fut le sujet du discours dans tout le tems du dejeuner, d’abord qu’on s’aperçut que dans le revers il y avoit les memes pieres qui composoient la bague que de D. Lucrezia m’avoit donnée. L’avocat, et D. Francesco s’evertuerent pour expliquer l’hierogliphe ce qui divertit beaucoup D. Lucrezia qui savoit tout.

Après avoir passé une demie heure à voir la maison de D. Francesco qui étoit un vrai bijou, nous allames tous ensemble passer six heures pour voir les antiquités de Tivoli. Pendant que D. Lucrezia disoit quelque chose à D. Francesco, j’ai tout bas dit à D. Angelica que quand elle seroit maitresse de cette maison j’irai dans les belles saisons passer quelques jours avec elle. — D’abord, monsieur, que je serai maitresse ici, la premiere personne à la quelle je ferai fermer ma porte ce sera vous. — Je vous remercie, mademoiselle, de m’avoir averti.

Le plaisant est que je n’ai pris cette incartade que pour une tres belle, et tres nette declaration d’amour. Je suis resté comme petrifié. D. Lucrezia me demanda me secouant ce que sa sœur m’avoit dit. Quand elle le sut, elle me dit tout de bon qu’après son depart, je devois l’entreprendre pour la reduire à devoir confesser son tort. Elle me plaint, me dit elle, c’est à toi à me venger.

D. Francesco, m’entendant louer une petite chambre qui donnoit sur l’orangerie, me dit que j’y dormirois. D. Lucrezia fit semblant de ne l’avoir pas entendu. Devant aller voir les beautés de Tivoli tous ensemble, nous ne pouvions pas esperer de nous trouver tête à tête dans le jour. Nous passames six heures à voir, et à admirer, mais je n’ai vu que tres peu. Si le lecteur est curieux de savoir quelque chose de Tivoli sans y aller, il n’a qu’à lire Campugnani. Je n’ai bien connu Tivoli que vingt huit ans après.

Vers le soir nous retournames à la maison rendus, et mourans de faim. Une heure de repos avant de nous mettre à table, deux heures de table, les mets exquis, et l’excellent vin de Tivoli nous remirent si bien que nous n’avions besoin que du lit, soit pour y dormir, soit pour y fêter l’amour.

Personne ne voulant coucher seul, Lucrece dit qu’elle coucheroit avec Angelique dans la chambre qui donnoit sur l’orangerie, que son mari coucheroit avec l’abbé, et sa jeune sœur avec sa mere. La disposition fut trouvée excellente. D. Francesco alors, prit une bougie, me conduisit dans le cabinet que j’avois loué, et me montra comme je pouvois m’enfermer, puis il me souhaita la bonne nuit. Ce cabinet étoit contigue à la chambre où couchoient devoient coucher les deux sœurs. Angelique ignoroit tout à fait que je fusse son voisin.

Cinq minutes après je les ai vues par le trou de la serrure entrer accompagnées de D. Francesco, qui après leur avoir allumé une lampe de nuit les laissa. Après s’etre enfermées, elles s’assirent sur le canapé, où je les voyois se deshabiller. Lucrece, sachant que je l’entendois, dit à sa sœur d’aller se coucher du coté de la fenetre. Voila la vierge, qui ne sachant pas d’etre vue ote jusqu’à sa chemise ; et passe dans cette imposante figure de l’autre coté de la chambre. Lucrece etouffe la lampe de nuit, eteint les flambeaux, et va se coucher aussi.