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voulois differer mon depart d’un seul jour, il promettoit de satisfaire à ma curiosité — Dis moi la verité ; et je te donne six cequins — Je ne peux pas les gagner, car ne l’ayant jamais vu tout nu je ne peux jurer de rien ; mais sûrement il est garçon, car sans cela il n’auroit pas pu chanter dans cette ville — Fort bien. Je ne partirai qu’après demain, si tu veux passer la nuit avec moi — Vous m’aimez donc ? — Beaucoup ; mais dispose toi à être bonne — Tres bonne, car je vous aime aussi. Je vais avertir ma mere — Tu as certainement eu un amant — Jamais.

Elle revint toute gaye, me disant que sa mere me croyoit honnête homme. Elle ferma ma porte, et elle tomba entre mes bras toute amoureuse. J’ai trouvé qu’elle pouvoit être neuve ; mais n’en étant pas amoureux je ne l’ai pas chicannée. L’Amour est la divine sauce qui rend cette pitance là delicieuse. Cecile étoit charmante ; mais je n’avois pas eu le tems de la desirer ; ainsi je n’ai pas pu lui dire tu as fait mon bonheur : ce fut elle qui me le dit ; mais je n’en fus pas beaucoup flatté. J’ai cependant voulu le croire, elle fut douce, je fus doux, je me suis endormi entre ses bras, et à mon reveil, après lui avoir donné le bon jour de l’amour, je lui ai fait present de trois doblons qu’elle dut aimer mieux que des sermens d’une constance eternelle. Sermens absurdes que l’homme n’est pas en état de faire à la plus belle de toutes les femmes. Cecile est allée porter son tresor à sa mere qui pleurant de joye confirma sa foi à la divine providence.

J’ai fait monter l’hote pour lui ordonner un souper sans épargne pour cinq personnes. J’étois sûr que le noble D. Sancio, qui devoit arriver vers le soir ne me refuseroit pas l’honneur de souper avec moi. Je n’ai pas voulu diner ; mais la famille bolognaise n’eut pas besoin de ce regime pour s’assurer de son appetit à souper. Ayant fait appeler Bellino pour le sommer de sa parole, il me dit en riant que la journée n’étoit pas finie, et qu’il étoit sûr de m’accompagner à Rimini. Je lui ai demandé s’il vouloit venir se promener avec moi, et il est allé s’habiller.

Mais voila Marine, qui d’un air mortifié vient me dire qu’elle ne savoit pas d’avoir merité la marque de mepris que j’allois lui donner. Cecile a passé la nuit avec vous, vous partez demain avec Bellino, je suis la seule