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[167r]

Nous retournames à l’auberge, et sur la brune nous vimes entrer dans la cour D. Sancio dans sa voiture. Lui allant au devant je lui ai demandé excuse si j’avois compté sur l’honneur qu’il me feroit de souper avec Bellino, et moi. Relevant avec dignité, et politesse le plaisir que j’avois eu l’attention de lui faire, il accepta.

Les mets choisis, et bien apprêtés, les bons vins d’Espagne, les belles huitres, et plus que tout cela la gayeté, et les voix de Bellino, et de Cecile, qui nous donnerent des duos, et des Siguedilles firent gouter à l’Espagnol cinq heures de Paradis. Nous quittant à minuit, il me dit qu’il ne pouvoit se declarer entierement content qu’allant se coucher sûr que je souperois le lendemain dans sa chambre dans la même compagnie. Il s’agissoit de differer mon depart encore d’un jour. Je l’ai étonné acceptant.

J’ai alors pressé Bellino de me tenir sa parole, mais me repondant que Marine avoit à me parler, et que nous aurions le tems de nous trouver ensemble le lendemain, il me laissa. Je suis resté seul avec Marine qui toute joyeuse ferma ma porte.

Cette fille plus formée que Cecile, quoique plus jeune, se sentoit engagée à me convaincre qu’elle meritoit d’être preferée à sa sœur. Je l’ai facilement cru n’examinant que le feu de ses yeux. Craignant de se voir negligée par un homme que dans la nuit precedente pouvoit avoir eté epuisé, elle me deploya toutes les idées amoureuses de son ame ; elle me parla en detail de tout ce qu’elle savoit faire, elle me fit parade de toutes ses doctrines, et elle me circonstantia toutes les occasions qu’elle avoit eues de se rendre grande maitresse dans les mysteres de l’amour, de l’idée qu’elle avoit de ses plaisirs, et des moyens qu’elle avoit employés