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pour en gouter des echantillons. J’ai vu enfin qu’elle craignoit, que ne la trouvant pas pucelle, je ne lui en fisse des reproches. Son inquietude me plut, et je me suis diverti l’assurant que le pucelage des filles ne me sembloit qu’une imagination puerile, puisque la plus grande partie n’en recevoit avoit reçu de la nature pas seulement les marques. J’ai mis en ridicule ceux qui souvent avoient tort de leur en faire une querelle.

J’ai vu que ma science lui plut, et qu’elle vint entre mes bras remplie de confiance. Elle se montra effectivement superieure en tout à sa sœur, et elle triompha quand je le lui ai dit ; mais quand elle pretendit de me combler m’assurant qu’elle passeroit avec moi toute la nuit sans dormir, je l’ai deconseillée lui demontrant que nous y perdrions puisqu’accordant à la nature le doux repit du someil, elle se declare reconnoissante au reveil dans l’augmentation de la force de son feu.

Après avoir donc assez joui, et bien dormi, nous renouvellames la fête le matin ; et Marine partit toute contente quand elle vit les trois doblons que dans la joye de son ame elle porta à sa mere, qui étoit insatiable de contracter des obligations toujours plus grandes avec la divine providence.

Je suis sorti pour aller prendre de l’argent de Buchetti, ne pouvant pas deviner ce qui pourroit m’arriver en voyage jusqu’à Bologne. J’avois joui ; mais j’avois trop depensé. Il me restoit encore Bellino, qui étant fille ne devoit pas me trouver moins genereux que ses sœurs. Cela devoit infailliblement être tiré au clair dans la journée ; et il me sembloit de devoir en être certain.

Ceux qui disent que la vie n’est qu’un assemblage de malheurs veulent dire que la vie même est un malheur. Si elle est un malheur, la mort donc est un bonheur. Ces gens là n’ecrivirent pas ayant une bonne santé, la bourse pleine d’or, et le contentement dans l’ame, ayant eu venant d’avoir entre leurs bras des Ceciles, et des