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mousseux, Peralta, Xeres, et Pedro Ximenes. Après souper, Bellino chanta à nous faire perdre le peu de raison que les excellens vins nous avoient laissé. Ses gestes, les mouvemens de ses yeux, sa marche, son port, son air, sa physionomie, sa voix, et sur tout mon instinct, qui selon mon calcul ne pouvoit pas me faire sentir sa force pour un castrat, tout, tout me confirmoit dans mon idée. Je devois cependant m’en rendre certain par le temoignage de mes yeux.

Après avoir bien remercié le noble castillan, nous lui souhaitames un parfait someil, et nous entrames dans ma chambre, où Bellino devoit me tenir sa parole, ou meriter mon mepris, et se disposer à me voir partir seul au point du jour.

Je le prens par la main, je le fais asseoir pres de moi devant le feu, et je prie les deux petites de nous laisser seuls. Elles s’en vont dans l’instant. L’affaire, lui dis-je, ne sera pas longue si vous etes de mon sexe, et si vous êtes de l’autre il ne tiendra qu’à vous de passer la nuit avec moi. Je vous donnerai demain matin cent cequins, et nous partirons ensemble — Vous partirez seul, et vous aurez la generosité de pardonner à ma foiblesse, si je ne peux pas vous tenir ma parole. Je suis castrat, et je ne peux pas me determiner ni à vous laisser voir ma honte, ni à m’exposer aux horribles consequences que cet eclaircissement peut avoir — Il n’en aura pas puisque d’abord que j’aurai vu, ou touché, je vous prierai moi même d’aller vous coucher dans vôtre chambre ; et nous partirons demain fort tranquilles, et il n’y aura plus question de cela entre nous — Non : c’est decidé : je ne peux pas satisfaire vôtre curiosité.

À ces mots, je me sens poussé à bout, mais je me domine, et je tente avec douceur d’aller avec ma main là où j’aurois trouvé ma raison, ou mon tort ; mais il se sert de la sienne pour rendre impossible à la mienne la perquisition desiree — Otez donc cette main, mon cher Bellino — Non, et absolument non, car vous voila dans un état