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qui m’epouvante. Je le savois, et je ne consentirai jamais à de telles horreurs. Je vais vous envoyer mes sœurs.

Je le retiens, je fais semblant de devenir calme ; mais tout d’un coup croyant le surprendre j’allonge mon bras au bas de son dos, et ma main rapide alloit s’eclaircir par ce chemin là s’il n’eut paré le coup se levant, et opposant à main qui ne vouloit pas lacher prise la sienne, la même avec la quelle il couvroit ce qu’il appeloit sa honte. Ce fut dans ce moment que je l’ai vu homme, et que j’ai cru de le voir malgré lui. Etonné, faché, mortifié, degouté je l’ai laissé partir. J’ai vu Bellino vrai homme ; mais homme meprisable tant par sa degradation que par l’honteuse tranquillité dans la quelle je l’ai vu dans un moment je ne devois pas voir avec evidence la marque de son insensibilité.

Un moment après, j’ai vu ses sœurs que j’ai priées de s’en aller, parceque j’avois besoin de dormir. Je leur ai dit d’avertir Bellino qu’il partira avec moi, et qu’il ne me trouvera plus curieux de rien. J’ai fermé ma porte, et je me suis couché ; mais fort mecontent, car malgré que ce que j’avois vu dût m’avoir desabusé, je sentois que je ne l’étois pas. Mais que voulois-je d’avantage ? Helas ! J’y pensois, et je n’y concevois rien.

Le matin, après avoir mangé une bonne soupe, je suis parti avec lui, et avec le cœur dechiré par les pleurs de ses sœurs, et de la mere qui machant des patenôtres, le chapelet à la main, ne fesoit que repeter le refrain Dio provederà.

La foi dans la pProvidence eternelle de la plus grande partie de ceux qui vivent de métiers défendus par les lois, ou par la religion n’est ni absurde, ni fictice, ni derivante d’hypocrisie ; elle est vraye, réelle, et, telle qu’elle est, elle est pieuse, car sa source est excellente.