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[189r]


qu’il pourroit me l’envoyer facilement avec ma mâle si je voulois me donner la peine d’aller payer cinquante doblones pour le cheval que j’avois enlevé à D. Marcello Birac commissionnaire de l’armée d’Espagne qui demeuroit dans la maison qu’il me nommoit. Il me dit qu’il avoit écrit tout le fait au meme Birac, qui recevant la somme s’engageroit lui même par ecrit de me faire parvenir ma male, et mon passeport.

Charmé de voir tout en bon ordre, je fus sans perdre un seul moment chez le commissionnaire qui demeuroit avec un venitien que je connoissois, qui s’appeloit Batagia. Je lui ai compté l’argent, et le matin même du jour que j’ai quitté Bologne j’ai reçu ma mâle et mon passeport. Toute Bologne a su que j’avois payé le cheval, ce qui confirma à l’abbé de Cornaro que j’etois le même qui avois tué en duel mon capitaine.

Pour aller à Venise j’étois obligé de faire la quarantaine ; mais je m’etois determiné à ne pas la faire. Elle subsistoit encore parceque les deux gouvernemens respectifs s’étoient piqués. Les venitiens vouloient que le pape fut le premier à ouvrir ses frontieres aux voyageurs, et le pape pretendoit le contraire. La chose ne s’etoit pas encore accomodée, et le commerce souffroit. Voila comment je m’y suis pris sans rien craindre ; malgré que l’affaire fut delicate ; car à Venise principalement la rigueur en matiere de santé etoit extreme ; mais dans ce tems là un de mes plus grands plaisirs étoit celui de faire tout ce qui étoit defendu, ou du moins difficile.

Sachant que le passage étoit libre de l’etat de Mantoue à celui de Venise, et de celui de Modene à celui de Mantoue, j’ai vu que si je pouvois entrer dans l’état de Mantoue fesant croire que je venois de Modene tout seroit fait. Je passerois le quelque part, et j’irois à Venise en droiture. J’ai donc pris un voiturier pour qu’il me conduise à Revere. C’est une ville sur le Po qui appartient à l’état de Mantoue. Ce voiturier me dit qu’il pouvoit prenant des chemins de traverse aller à Revere, et dire qu’il venoit de Modene ; mais que nous nous trouverions embarrassés quand on nous demanderoit le certificat de santé fait à Modene. Je lui ai ordonné de dire qu’il l’avoit perdu, et de me laisser faire le reste. Mon argent l’a fait consentir.

À la porte de Revere, je me suis dit officier de l’armée d’Espagne allant à Venise pour parler au duc de Modene, qui alors y étoit,