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[191r]

Vers le soir je suis allé chez Madame Orio, où je me suis trouvé tres bien logé. Après avoir assez bien soupé, j’ai eu le plaisir de voir les nieces obligées par leur tante même à venir m’installer dans ma chambre.

La premiere nuit elles coucherent avec moi toutes les deux, et dans les suivantes elles se donnerent le change otant de la cloison une planche par la quelle l’amoureuse passoit et repassoit. Nous fimes cela tres sagement crainte de surprise. Nos portes etant fermées, si la tante eut fait une visite à ses nieces, on l’absente auroit eu le tems de repasser, et remettre la planche ; mais cette visite ne se verifia jamais. Madame Orio comptoit sur notre sagesse.

Deux ou trois jours après l’abbé Grimani me fit parler au caffè de la Sultane à M. Valmarana, qui me dit que s’il avoit su qu’on pouvoit eluder la quarantaine il ne m’auroit jamais dit que ce que j’avois dit n’étoit pas possible, et qu’il me remercioit de lui avoir donné cette instruction, ainsi la chose fut accomodée, et jusqu’à mon depart je suis toujours allé diner chez lui.

Vers la fin du mois, je suis entré au service de la republique en qualité d’enseigne dans le regiment Bala qui étoit à Corfou. Celui qui en etoit sorti en force des cent cequins que je lui avois donné étoit lieutenant ; mais le Sage à la guerre m’allegua des raisons que si j’ai voulu entrer au service j’ai dû adopter. Il m’a donné parole qu’au bout de l’année j’avancerai au grade de Lieutenant, et que j’aurois d’abord le congé qui m’étoit necessaire pour aller à Constantinople. J’ai accepté parceque j’avois envie de servir.

Celui qui me fit obtenir la grace d’aller à Constantinople avec le Chr Venier qui y alloit en qualité de Bailo fut M. Pierre Vendramin illustre Senateur. Il me presenta au Chr Venier qui me promit de me prendre avec lui à Corfou, où il arriveroit un mois après moi.

Quelques jours avant mon depart j’ai reçu une lettre de Therese, qui me donnoit la nouvelle que le duc qui l’avoit engagée pour Naples la conduisoit en personne. Elle me disoit qu’il étoit vieux ; mais que quand même il seroit jeune je n’aurois rien à craindre. Elle me disoit qu’ayant besoin d’argent je devois tirer des lettres de change sur elle, et être certain qu’elle les payeroit quand meme elle devroit vendre tout ce qu’elle auroit.

Sur le vaisseau, où je devois aller à Corfou devoit s’embarquer un noble venitien qui alloit au Xante avec la charge de conseiller. Il avoit à sa suite une cour tres nombreuse, et le capitaine du