Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30 30
[31v]


porte qui auroit dû être ouverte, si Bettine en fût sortie. Je l’ai trouvée fermée. On ne pouvoit la fermer que par dedans : j’ai pensé qu’elle pouvoit s’être endormie ; mais pour l’éveiller j’aurois dû frapper fort, et le chien auroit aboyé. De cette porte à celle de son cabinet il y avoit encore dix à douze pas. Accablé par le chagrin, et ne pouvant me determiner à rien, je me suis assis sur le dernier degré. Vers la pointe du jour, transi, engourdi, grelotant, je me determine à retourner dans ma chambre, car la servante me trouvant là m’auroit cru devenu fou.

Je me leve donc ; mais dans le moment j’entens du bruit au dedans. Sûr que Bettine alloit paroitre, je vais à la porte, elle s’ouvre ; mais au lieu de Bettine, je vois Candiani, qui me lache un si fort coup de pied au ventre que je me trouve etendu, et enfoncé dans la neige. Après cela il va s’enfermer dans la sale, il avoit son lit pres de ceux des Feltrins ses camarades.

Je me leve vite pour aller étrangler Bettine que dans ce moment là rien n’auroit pu garantir de ma fureur ; mais voila la porte fermée. J’y donne un grand coup de pied, le chien jappe, je remonte chez moi, je m’enferme, et je me couche pour recouvrer mon ame, et mon corps, car j’étois pire que mort.

Trompé, humilié, maltraité, devenu un objet de mepris devant Candiani heureux, et triomphant, j’ai passé trois heures à ruminer les plus noirs projets de vengeance. Les empoisonner tous les deux me paroissoit peu de chose dans ce malheureux moment. J’ai formé le lache projet d’aller d’abord à la campagne