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votre feu ne fut que momentanée, et qu’il n’a fallu qu’un leger souffle pour l’eteindre. Votre vertu qui ne s’est ecartée de son devoir qu’une seule heure, et qui a repris tout d’un coup l’empire sur vos sens qui s’etoient egarés merite quelqu’eloge. Vous qui m’adoriez devintes dans un moment insensible à toutes mes peines que je ne manquois pas de vous faire connoitre. Il me reste à savoir comment cette vertu pouvoit vous être si chere, tandis que Candiani ne cessoit de lui faire faire naufrage toutes les nuits entre ses bras.

Voici, me dit elle alors (en me regardant de cet air qu’on a quand on est certain de la victoire) où je vous voulois. Voici ce que je ne pouvois pas vous faire savoir, et ce que je n’ai jamais pu vous dire, car vous vous etes refusé au rendez vous que je ne vous ai demandé qu’au seul dessein de vous faire connoître la verité.

Candiani, poursuivit elle à me dire, m’a fait une déclaration d’amour huit jours après qu’il est entré chez nous. Il me demanda mon consentement pour me faire demander en mariage par son propre pere d’abord qu’il auroit achevé ses études. Je lui ai répondu que je ne le connoissois pas encore bien, que je n’avois pas de volonté dessus ; et je l’ai prié de ne me parler plus de cela. Il fit semblant d’etre devenu tranquille ; mais je me suis aperçue, peu de tems après, qu’il ne l’étoit pas un jour qu’il me pria d’aller quelque fois le peigner. Quand je lui ai repondu que je n’en avois pas le tems il me dit que vous etiez plus heureux que lui. Je me suis moquée de ce reproche, et de ses soupçons, car toute la maison savoit que j’avois soin de vous.

Ce fut quinze jours après que je lui ai refusé le plaisir d’aller le peigner qu’il m’est arrivé de passer avec vous une heure dans ce badinage que vous savez, et qui, comme de raison, fit naitre