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un feu qui vous donna des idées que vous ne connoissiez pas auparavant. Quant à moi, je me trouvois fort contente ; je vous aimois, et m’etant abandonnée à des desirs naturels à ma passion, nul remords ne pouvoit m’inquieter. Il me tardoit de me voir avec vous le lendemain ; mais le même jour après souper le premier moment de mes peines arriva. Candiani glissa entre mes mains ce billet, et cette lettre, que dans la suite j’ai cachés dans un trou du mur avec intention de vous les faire voir à tems et lieu.

Bettine alors me remit la lettre, et le billet. Voici le billet : » Ou recevez moi pas plus tard que cette nuit dans votre cabinet, en laissant entrebaillée la porte qui donne dans la cour entrebaillée, ou pensez à vous tirer d’affaires demain vis à vis du docteur au quel je remettrai la lettre dont vous voyez la copie ci jointe. «

La lettre contenoit le recit d’un delateur infame et enragé, qui effectivement pouvoit avoir des suites tres facheuses. Il disoit au docteur que sa sœur passoit avec moi les matinées dans un commerce criminel, lorsqu’il alloit dire la messe, et il lui promettoit de lui donner la dessus des tels eclaircissemens qu’il ne pourroit pas en douter.

Après avoir fait la reflexion, poursuivit Bettine, que le cas exigeoit, je me suis determinée à ecouter ce monstre. J’ai laissé la porte entrouverte, et je l’ai attendu ayant mis dans ma poche un stylet de mon pere. Je l’ai attendu à la porte pour qu’il me parle là, mon cabinet n’étant séparé de celui où couche mon pere que d’une cloison. Le moindre bruit auroit pu l’éveiller.

À ma première question sur la calomnie que contenoit la lettre qu’il me menaçoit de donner à mon frere, il me répondit que ce n’etoit pas une calomnie, car il avoit vu lui même tout l’entretien que nous avions eu le matin par un trou qu’il avoit fait lui même dans le plancher du grenier perpendiculaire à votre lit, où il alloit se mettre d’abord que j’entrois chez vous. Il conclut qu’il alloit decouvrir tout à mon frere, et à ma mere si je m’obstinois à lui refuser les mêmes complaisances qu’il etoit sûr que j’avois pour vous. Après lui avoir dit dans ma juste colere les injures les plus atroces, et l’avoir appelé lache espion, et calomniateur, car il ne pouvoit avoir vu que des enfantillages, j’ai fini par lui jurer qu’il se flattoit en vain de me reduire par