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des menaces à avoir pour lui les mêmes complaisances. Il se mit alors à me demander mille pardons, et à me representer que je ne devois attribuer qu’à ma rigueur sa demarche, à la quelle il ne se seroit jamais determiné sans la passion que je lui avois inspirée, et qui le rendoit malheureux. Il convint que sa lettre pouvoit etre calomnieuse, et qu’il en avoit agi en traître, et il m’assura qu’il n’employeroit jamais la force pour obtenir des faveurs qu’il ne vouloit devoir qu’à la constance de son amour. Je me suis crue obligée à lui dire que je pourrois l’aimer dans la suite, et à lui promettre que je n’irois plus à votre lit lorsque le docteur n’y seroit pas ; et je l’ai renvoyé content sans qu’il osa me demander un seul baiser lorsque je lui ai promis que nous pourrions nous parler quelqu’autre fois dans le même endroit.

Je suis allée me coucher au desespoir songeant que je ne pourrois plus ni vous voir lorsque mon frere n’y seroit pas, ni vous en faire savoir la raison par rapport aux consequences. Six Trois semaines s’ecoulèrent}} ainsi, et ce que j’ai souffert est incroyable, car vous ne manquiez pas de me presser, et je me voyois toujours obligée à vous manquer. Je craignois même le moment dans le quel je me serois trouvée seule avec vous, car j’étois sûre que je n’aurois pas pu m’empêcher de vous découvrir la raison de la difference de mes proceders. Ajoutez que je me voyois obligée au moins une fois par semaine à me rendre à la porte de l’allée pour parler au coquin, et moderer par des paroles son impatience.

Je me suis enfin determinée à finir mon martire quand je me suis vue menacée par vous aussi. Je vous ai proposé d’aller au bal habillé en fille ; j’allois vous decouvrir toute l’intrigue, et vous laisser le soin d’y remédier. Cette partie de bal devoit deplaire à Candiani ; mais mon parti étoit pris. Vous savez de quelle espece fut le contretems. Le depart de mon frere avec mon pere vous inspira à tous les deux la même pensée. Je vous ai promis d’aller dans votre chambre avant de recevoir le billet de Candiani qui ne me demandoit pas le rendez-vous ; mais qui m’avertissoit qu’il alloit se mettre dans mon cabinet. Je n’ai eu ni le tems de lui dire que j’avois des raisons pour lui défendre d’y aller, ni celui de vous avertir que je n’irois chez vous qu’après minuit comme