et ma mere avoit fait le voyage avec Carlin Bertinazzi Arlequin,
qui mourut à Paris l’année 1783. À peine arrivée à
Padoue elle envoya avertir de son arrivée le docteur Gozzi
qui me conduisit d’abord à l’auberge où elle logeoit avec
son compagnon de voyage. Nous y dinames, et avant de partir
elle lui fit present d’une fourrure, et elle me donna une
peau de loup cervier pour que j’en fisse présent à Bettine. Six
mois après elle me fit aller à Venise pour me voir encore
une fois avant de partir pour Dresde où elle avoit été engagée
pour toute la vie au service de l’électeur de Saxe
Auguste III roi de Pologne. Elle conduisit avec elle mon
frere Jean qui avoit alors huit ans, et qui en partant pleuroit
comme un desesperé, ce qui me fit conjecturer beaucoup de
betise sottise dans son caractere, car dans ce depart il n’y avoit
rien de tragique. Il fut le seul qui dut toute sa fortune à
notre mere, dont cependant il n’étoit pas le bien aimé.
Après cette epoque j’ai passé encore un an à Padoue étudiant les droits, dont je suis devenu docteur à l’age de seize ans, ayant eu dans le civil le point de testamentis, et dans le canon utrum hebręi possint construere novas Sinagogas. Ma vocation étoit celle d’étudier la médicine pour en exercer le metier pour lequel je me sentois un grand penchant, mais on ne m’ecouta pas : on voulut que je m’applicasse à l’étude des lois pour les quelles je me sentois une aversion invincible. On pretendoit que je ne pouvois faire ma fortune que devenant avocat, et ce qui est pire, avocat ecclesiastique, parcequ’on trouvoit que j’avois le don de la parole. Si on y avoit bien pensé on m’auroit contenté en me laissant devenir medecin, où le charlatanisme fait encore plus d’effet que dans le metier d’avocat. Mais je n’ai fait ni l’un ni l’autre ; et cela ne pouvoit pas etre autrement. Il se peut que ce soit par cette raison que je n’ai jamais voulu ni me servir d’avocats quand il m’est arrivé d’avoir des pretentions legales au barreau, ni appeler des medecins quand j’ai eu