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but qu’un seul verre du punch, et n’ayant guere mangé je ne l’ai pas excitée à en boire d’avantage de peur qu’il lui fasse mal. Scolastique au contraire qui goutoit cette agreable boisson pour la premiere fois s’en donna sans menagement, et trouva plaisant que la liqueur au lieu d’aller dans son estomac etoit montée à sa cervelle. Dans cet état de gayeté elle crut que son devoir étoit celui de nous faire faire une paix parfaite, et de nous rendre certains qu’elle ne seroit pas de trop se trouvant presente à toutes les demonstrations de tendresse que nous aurions pu nous entredonner.

Elle se leva de table, et se soutenant mal sur ses jambes elle tranporta son amie sur le sopha en la serrant contre son sein, en lui donnant cent baisers qui fesoient rire Armellina toujours triste. Elle m’appella, elle me fit asseoir pres d’elle, et elle la mit entre mes bras. Je lui fesois des caresses d’amour qu’Armellina ne repousoit pas, mais qu’elle ne payoit pas du retour que Scolastica esperoit de voir, et que je n’esperois pas, car elle ne m’auroit jamais accordé en presence de Scolastica ce qu’elle ne m’avoit pas accordé en trois heures que je l’avois eue entre mes bras Emilie étant profondement endormie. Scolastica, que ne vouloit pas avoir un dementi dans sa mediation, s’en prit à moi : elle me reprocha une froideur que j’étois bien loin d’avoir. Je lui leur ai dit de se defaire des habits d’homme, et de se remettre rhabiller en filles. En disant cela j’ai aidé Scolastique à oter son habit, et sa veste, et Armelline alors en fit de même. Je leur ai presenté leurs chemises, et pour lors Armelline me dit d’aller me mettre auprès du feu ; mais deux minutes après le bruit des baisers me rendit curieux. Scolastica trop egayée par le punch couvroit de baisers la gorge d’Armelline qui enfin devenue riante en fit autant devant moi à son ardente amie. À cette vue Scolastica n’a pas trouvé mauvais que je rende justice à la beauté de ses seins, et que je devienne