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Une autre ressource qu’il me montra, et qu’il avoit dans un grand porte feuille, fut un tas de cahiers où il avoit trois quart de l’Henriade de Voltaire parfaitement bien traduite en stances italiennes. Ses stances, ses vers étoient egaux à ceux du Tasse. Il comptoit de finir à Florence ce beau poème, et de le presenter au grand duc : il étoit sûr non seulement d’un present magnifique ; mais de devenir son favorit. Je riois en moi même de ce qu’il ne savoit pas que le grand duc ne fesoit que semblant d’aimer la litterature. Un abbé Fontaine assez habile l’amusoit avec l’histoire naturelle : pour le reste ce prince ne lisoit jamais rien, et preferoit la mauvaise prose à la plus belle poésie. Ce qu’il aimoit étoit les femmes, et l’argent.

Après avoir passées deux heures fort ennuyeuses avec ce malheureux rempli d’esprit, mais sans jugement, et m’etre beaucoup repenti d’etre allé chez lui, je lui ai dit tres laconiquement que je ne pouvoit pas répondre pour lui, et je m’acheminant à la porte