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venitien qui connoissoit la Lamberti, mais qui n’y avoit jamais soupé. Le grand duc enfin avoit fait main basse sur tous les venitiens qui se trouvoient alors à Florence.

Retournant chez moi j’ai rencontré le gouverneur de Milord Lincoln que j’avois connu onze ans avant ce tems là à Lausanne. Je lui ai conté d’un air dedaigneux ce qui venoit de m’arriver à cause de la lessive que son eleve avoit faite. Ce brave anglois me dit en riant que le grand duc avoit fait dire au jeune lord qu’il ne devoit pas payer la somme qu’il avoit perdu, et qu’il avoit fait repondre au grand duc que ne payant pas il feroit une action malhonete, puisqu’encore l’argent qu’il devoit étoit argent preté, n’ayant jamais joué sur la parole. Le fait étoit vrai. C’etoit vrai aussi que le preteur, et le joueur s’entendoient ; mais Milord ne pouvoit pas en être sûr.

Mon depart de Florence me fit guerir d’un amour tres malheureux, et qui auroit eu des consequences funestes, si j’y avois encore passé quelque tems. J’en ai epargné au lecteur la triste histoire à cause qu’elle me rend triste toutes les fois que je m’en rapelle les circonstances. La veuve que j’aimois, et à la quelle j’avois eu la faiblesse de m’expliquer, ne me conserva à son char que pour chercher toutes les occasions de m’humilier : elle me meprisoit, et elle vouloit n’en convaincre. Je m’étois obstiné à ne pas cesser de la voir croyant toujours que j’y parviendrois ; mais je me suis apperçu lorsque j’en fus gueri en l’oubliant que j’aurois perdu mon tems.

Je suis parti de Florence moins riche d’une centaine de cequins ; je n’avois fait aucune depense, j’y ai enfin vecu en sage. Je me suis arreté à la premiere poste de l’etat du pape, et l’avant dernier jour de l’an je suis arrivé à Bologne allant me loger à l’auberge du S.t Marc. Je suis d’abord allé faire une visite au comte Marulli qui étoit chargé d’affaires de Florence pour le prier d’écrire à S. A. R. que par tout où je