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me trouverois dans tout le reste de ma vie je celebrerois ses vertus.

Il crut que je ne parlois pas comme je pensois, car il avoit reçu une lettre qui l’informoit de toute l’affaire ; mais je lui ai dit que s’il savoit tout il verroit que les obligations que j’avois à S. A. R. etoient essentielles. Il m’assura qu’il écriroit au prince de quelle façon je parlois de lui.

Le premier jour de l’an 1772 je suis allé me presenter au Cardinal Branciforte : c’étoit le legat. Je l’avois connu à Paris vingt ans avant ce tems là lorsqu’il fut envoyé par Benoit XIV porter les langes benites au dau nouveau né duc de Bourgogne. Nous avions été ensemble en loge de maçons, et fai avions fait des soupers fins en compagnie de jolies filles avec D. Francisco Sersale, et le comte Ranucci. Ce cardinal enfin avoit de l’esprit, et etoit ce qu’on appelle bon vivant. Oh ! vous voila, s’ecria-t-il, d’abord qu’il me vit, je vous attendoits — Comment pouviez vous m’attendre monseigneur, tandis que rien ne m’obligeoit à donner la preference à Bologne sur d’autres endroits ? — Bologne vaut mieux que tous les autres, et encore j’etois sûr que vous auriez pensé à moi ; mais il n’est pas necessaire de conter ici la vie que nous fesions quand nous étions jeunes. Le comte Marulli m’a dit hyer au soir que vous faites le plus pompeux eloge du grand duc, et vous faites fort bien. Parlons entre nous, car rien ne sortira de ce cabinet. Combien futes vous à partager les douze mille guinées ?

Je lui ai alors dit toute la veritable histoire finissant par lui montrer la copie de la lettre que j’avois écrit au grand duc. Il me repondit en riant qu’il étoit faché que je fusse innocent. Quand il sut que je pensois de m’arreter à Bologne quelques mois il me dit que je pouvois être sûr d’y jouir de la plus grande liberté, et