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que d’abord que ce premier bruit seroit passé il me donneroit de marques de son amitié.

Après cette demarche je me suis disposé à faire dans cette ville la meme vie que je fesoits à Florence. Il n’y a pas une autre ville en Italie où l’on puisse vivre avec plus de liberté qu’à Bologne, où le vivre n’est pas cher, et où on peut se procurer à peu de frais tous les plaisirs de la vie. Outre cela la ville est belle, et presque toutes les rues sont cotoyées d’arcades. Pour ce qui regardoit la societé je ne m’en mettois pas en peine. Je connoissois les Bolognois : la noblesse en hommes mechante, orgueilleure, et violente, et le peuple qu’on appelle les birichini plus encore mauvais que les lazzaroni de Naples ; mais les bourgeois en general sont des bonnes gens. Tout cela cependant m’etoit egal. Mon projet étoit de me donner à l’étude, et de passer mon tems avec quelques gens de lettres avec les quels il n’est difficile de faire connoissance nulle part. À Florence on est generalement ignorant jusque dans la langue italienne qu’on parle bien, mais que c’est egal comme si on l’ignoroit quand on ne la sait pas par principe ; et à Bologne tout le monde sent la litterature. C’est une université où il y a trois fois plus de professeurs que dans toutes les autres ; mais tous avec des fort petits appointemens : quelques uns n’ont que cinquante écus par an ; mais ils ont beaucoup d’écoliers, et y vivent bien. L’imprimerie aussi y est à bon marché, et quoique l’inquisition existe on la trompe facilement.

Le quatrieme, et cinquieme jour de l’an tous les exilés de Florence arriverent. La Lamberti ne s’arreta qu’un jour, et elle alla à Venise. Zanovvich, et Zen s’arretterent cinq à six jours ; mais l’un separé de l’autre parceque la division de l’argent volé les avoit brouillés. Zannovich ne vouloit pas passer une des lettres de milord à l’ordre de l’autre parcqu’il ne