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vouloit risquer de devenir debiteur lui meme si l’anglois ne la payoit pas : il vouloit aller en Angleterre, et il disoit à Zen qu’il étoit le maitre d’y aller aussi. Ils partirent pour Milan sans s’être arrangés, le gouvernement de Milan leur ordonna de partir, et je n’ai jamais su comment ils s’étoient accomodés ; mais j’ai su que les lettres de change du lord furent exactement payées.

Medini étoit venu se loger à la même auberge où j’étois avec sa maitresse, sa petite sœur, et sa mere, et un domestique, mais toujours sans argent. Il me dit que le grand duc ne voulut écouter persone, qu’il reçut nouvel ordre de partir, qu’il étoit donc retourné à Florence, où il avoit dû tout vendre. Il me conjura de l’aider ; mais en vain. Je n’ai jamais vu cet homme que desesperé à cause de l’argent, et malgrè cela ne pouvant jamais se resoudre à moderer sa depense, et se tirant toujours d’affaire per fas, et nefas. Le bonheur qu’il eut à Bologne fut de trouver un cordelier esclavon qui s’appelloit de Dominis, qui alloit à Rome pour obtenir du pape un brevet de secularization. Ce moine devint amoureux de la maitresse de Medini, qui lui fit payer fort cheres, comme de raison, ses complaisances. Au bout de trois semaines Medini partit, et alla en Allemagne où il imprima son Henriade ayant trouvé dans l’electeur palatin un bon Mecenate. Après cela il erra par toute l’Europe une douzaine d’années jusqu’à ce qu’enfin il est allé mourir dans les prisons de Londres l’année 1788. Je le lui avois toujours dit qu’il devoit eviter l’Angleterre, car il devoit etre sûr qu’en y allant il y mourroit en prison. S’il y est allé pour donner un dementi au profete il a mal fait, car l’alternative étoit la cruelle de verifier la profetie. C’étoit un homme qui avoit naissance, education, et esprit, mais qui étant pauvre, et aimant la depense ne pouvoit se soutenir que par le jeu corrigeant la fortune, ou fesant des dettes que ne pouvant pas payer l’obligeoient toujours à decamper. Il a