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cependant vecu ainsi 70 ans, et il vivroit peut être encore s’il avoit fait cas de mon conseil. Le comte Tosio m’a dit il y a cinq huit ans que Medini en prison à Londres lui avoit dit qu’il ne seroit jamais allé en Angleterre si je ne lui avois fait la cruelle profetie. Cela peut être ; mais malgrè cela je ne m’abstiendrai jamais de donner un bon conseil à tout miserable que je verrai sur le bord du precipice. Avec cette même maxime j’ai dit à Cagliostro à Venise il y a dixsept vingt ans, lorsque l’ignorant fripon se fesoit appeller comte Pellegrini qu’il devoit se garder de mettre les pieds à Rome. S’il m’avoit cru il ne seroit pas actuellement mort dans le fort S. Leo ; où il finira ses jours. Il m’est arrivé aussi qu’un sage me dise il y a trente ans que je devois me garder de l’Espagne ; et malgrè cela j’y suis allé. Il s’en a fallu tres peu que je n’y aye pari.

Le septieme ou huitieme jour après mon arrivée à Bologne j’ai connu dans la boutique du libraire Taruffi un jeune abbé louche au quel j’ai dans un quart d’heure trouvé de l’esprit, de l’erudition, et du gout. Il me fit present de deux brochures fruit recent du genie de deux jeunes professeurs de l’université. Il me dit que cette lecture me feroit rire ; et il eut raison. Une de ces brochures qui etoit sortie de la presse en novembre dernier tendoit à demontrer qu’il falloit pardonner aux femmes toutes les fautes qu’elles commettoient puisqu’elles dependoient de la matrice qui les fesoit agir malgrè elles. La seconde brochure étoit une critique de la premiere. L’auteur pretendoit que l’uterus etoit il est vrai un animal ; mais qu’il ne pouvoit rien sur la raison de la femme puisque l’anatomie n’avoit jamais le moindre canal de comunication entre le viscere vase du fętus, et le cerveau. Il me vint envie de faire imprimer une diatribe contre les deux brochures. Je l’ai faite en trois jours ; je l’ai envoyée à Venise à M. Dandolo