Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182 126.
[73v]


et ayant l’effronterie de dire à ceux qui alloient la voir que l’Espagne la vengeroit de la calomnie avec la quelle le cardinal archeveque l’avoit deshonorée, et pour bien jouer son mauvais role, elle resta à Bologne six semaines après ses pretendues couches ; mais le cardinal legat qui avoit honte de l’avoir protegée prit secretement toutes ses mesures pour la faire partir. Le comte Ricla cependant lui assigna une pension considerable, sous condition qu’elle n’oseroit plus paroitre devant ses yeux à Barcellone. Quelque mois après il fut appellé à la cour pour occuper le poste de ministre de la guerre, et un année après il est mort. Nina mourut deux ans après lui dans la misere, et de la v…. Sa sœur, et mere me conta à Venise toute la miserable histoire de ses deux dernieres années, faite pour attrister le lecteur, et que je lui epargne.

L’infame sage femme ne manqua pas de protecteurs. Une brochure sortit imprimée on ne savoit pas où dans la quelle l’auteur inconnu prouvoit que le cardinal archeveque étoit punissable pour avoir condamnée à la peine la plus fletrissante une citoyenne violant toutes les formalités des procedures criminelles. La consequence étoit que la sage femme se trouvoit injustement condamnée même etant coupable, et qu’elle pouvoit à son tour appeller à Rome pour exiger de l’archeveque le plus ample dedomagement.

L’archeveque fit courir par Bologne un écrit dans le quel il disoit qu’il que la sage femme qu’il n’avoit fait punir que par le fouet auroit succombé trois fois au dernier supplice si l’honneur de trois illustres familles de Bologne ne l’eut empeché de publier ses crimes tous constates par des procès existans dans sa chancellerie. Il s’agissoit d’avortemens forcés, qui avoient fait meurir les meres coupables, d’enfants vivans substitués aux nés morts, et d’un garçon substitué à une fille, le quel garçon étoit alors tres injustement en possession de tout le bien de la famille. Cet écrit fit taire tous les protecteurs de l’infame, car chaque famille plusieurs jeunes seigneurs dont les meres