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avoient été accouchées par la coupable craignirent de decouvrir des secrets qui les auroient demontrés batards.

J’ai vu dans ce tems là la danseuse Marcucci qui avoit eté exilée d’Espagne peu de tems après mon depart par la même raison qu’on avoit exilée la Pelliccia. Celle-ci étoit allée s’etablir à Rome, la Marcucci alloit vivre dans l’opulence d à Luques sa patrie.

La danseuse Soavi Bolognaise que j’avois connue à Parme, lorsque j’y vivois heureux avec Henriette, puis à Paris où elle dansoit à l’opera entretenue par un seigneur russe, puis à Venise maîtresse de M. de Marcello vint alors s’etablir à Bologne avec sa fille agée de onze ans, fille de l’amour qu’elle avoit eu de M. de Marigni mousquetaire. Cette fille, qu’elle nommoit Adelaïde, etoit une beauté parfaite, et à la beauté elle joignoit toutes les graces, la douceur, et les talens que peut donner l’education la mieux choisie. La Soavi vint à Bologne où trouvant elle avoit son mari qu’elle ne voyoit depuis quinze ans, et elle lui presenta ce vrai tresor. C’est ta fille, lui dit elle — Elle est jolie, ma chere femme ; mais elle ne peut pas m’appartenir — Elle t’appartient, nigaud, d’abord que je te la donne. Àprens qu’elle a deux mille ecus de rente, et que je serai sa seule caissiere jusqu’au moment que je la marierai à un danseur, puisque je veux qu’elle aprenne la grande danse, et que le monde la voye sur le théatre. Les jours de fête tu iras à la promenade avec elle — Et si on me demande qui elle est ? — Tu diras qu’elle est ta fille, et que tu en es sûr puisque la personne qui te l’as donnée est ta propre femme — Je ne comprens pas cela — Parceque, mon cher mari, n’ayant jamais voyagé, tu n’es qu’un grand ignorant.

Ayant eté present à ce dialogue, qui m’a fait beaucoup rire, je m’amuse à present à l’ecrire. Ravi de voir un si rare bijoux,