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le plus grande partie sous quelque pretexte.

Le jour fixé au depart il vint chez moi à l’heure qui je lui avois fixée la veille, portant lui même dans un sac de nuit ce qui pouvoit lui etre necessaire les quatre jours qu’il devoit rester sans sa male. Je l’ai conduit en poste à Modene, et après que nous eumes diné je lui ai donné ma lettre addressée à M. Dandolo au quel je lui ai promis d’adresser sa mâle le lendemain. Sa surprise fut tres agréable quand il sut qu’il alloit demeurer à Venise qu’il avoit grande envie de voir, et quand je l’ai assuré que le gentilhomme au quel je l’adressois auroit soin de le faire vivre comme il vivoit à Bologne. Après l’avoir vu partir pour Final je suis retourné à Bologne où j’ai d’abord retiré la mâle de l’abbé des mains de son hôte la fesant transporter à la poste addressée à Venise à M. Dandolo.

Le lendemain, comme je m’y attendois j’ai vu chez moi toute en pleurs la pauvre dalaissée. C’étoit le cas d’avoir pitié de son ame. J’aurois été cruel si j’eusse fait semblant d’ignorer la cause de son desespoir. Je lui ai fait un sermon tres long tendant à la persuader que pour ce qui la regardoit je ne pouvois que la plaindre, mais que je ne devois pas abandonner mon ami dans le cas où il étoit de se precipiter en l’epousant. Elle se jeta à genoux devant moi à la fin de l’apologie pour interceder que je le fisse revenir me prometant qu’elle ne lui parleroit plus de mariage, et pour la calmer je lui ai dit que je tacherois de le persuader à faire cela. Je lui ai dit qu’il étoit allé demeurer à Venise, et, comme de raison, elle ne m’a pas cru. Il y a des cas que l’homme sûr de n’être pas cru doit dire la verité. C’est un mensonge d’une espece qui doit être approuvé par la plus rigoureuse de toutes les morales. Vingt sept mois après j’ai vu mon cher abbé Bolini dans ma patrie. J’en parlerai quand je serai là.

Après le depart de cet ami j’ai fait connoissance avec la belle Viscioletta, et j’en suis devenu si amoureux que ne voulant