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J’y fus, et j’eus le plaisir de voir une collection immense de scholiastes sur tous les poètes latins connus même avant Ennius jusqu’au douzieme siecle. Il avoit fait imprimer chez lui, et à ses frais toutes leurs productions en quatre grands in folio exacts, et corrects ; mais l’edition n’étoit pas belle, et j’ai osé le lui dire. Il en est convenu. Ce defaut de beauté, qui lui avoit fait epargner vingt mille ecus, l’avoit privé d’un gain de cinquante mille. Il me fit present d’un exemplaire qu’il m’envoya à l’auberge avec un grand in folio, dont le titre etoit marmora pisaurentia, que je n’ai pas eu le tems d’examiner. J’aurois apris tout ce qui regardoit la ville de Pesaro.

Le grand plaisir que j’eus fut à table me voyant avec son epouse dans la quelle j’ai decouvert beaucoup de merite, et vis à vis de ces cinq enfans trois filles, et deux garçons, tous jolis, et bien elevés. Ils m’interesserent infiniment, et malgrè cela je ne peux en rendre aucun compte à mes lecteurs. Je ne me suis jamais informé de leur sort.

Madame la marquise Mosca avoit en supreme degré l’usage du monde, et son mari n’avoit que l’esprit de la litterature ; par cette raison ils n’étoient pas d’accord, et le menage en souffroit ; mais l’étranger ne s’en appercevoit pas. Si on ne m’l’eut pas dit je ne l’aurois pas su. Toutes les familles, me disoit un sage il y a cinquante ans, se trouvent tracassées dans leur interieur par quelque comedie qui en trouble la paix. C’est à la prudence de ceux qui en sont à la tête à empecher que la comedie ne devienne publique, car on ne doit pas faire rire, et donner motifs à des mechants commentaires, et aux sifflets du public toujours malin, et ignorant. Madame de Mosca-Barzi ne s’occupa que de moi dans tous les cinq jours que j’ai passés à Pesaro. Elle me conduisit voir dans son equipage toutes ses maisons de campagne, et elle me presenta le soir à toutes les assemblées de la noblesse.